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Namarïe

A G.S.

La lourde porte sculptée se referma lentement. Immobile, le cavalier désemparé regarda le ciel immense ouvert devant lui et un cri comme une déferlante submergea sa volonté :
"Vanye ! (1)"
J'étais sur Cerin Amroth ; j'ai mis pied à terre, je l'ai attendu. Quel que soit l'exilé, il aurait besoin de paroles.

*

Il est difficile, même pour un cheval d'Elfe, de décider seul de la route à prendre lorsque le cavalier, absorbé dans ses pensées, laisse les rênes longues et les jambes lointaines. Hésitant, le cheval gris pommelé passa le pont de pierres blanches et suivit le chemin qui contournait la ville par la droite - inutile de s'éloigner sans ordre. Ardolas se laissait porter. Son corps avait franchi les portes de Calas Galadhron, mais bien plus que son coeur était resté là-bas, son âme tout entière aux pieds de Celebrian, la Merveilleuse aux cheveux d'argent... Que s'était-il passé ? De longues années avaient passé pareilles à de rapides gorgées de l'hydromel sucré, et en quelques heures sa vie avait basculé, on l'avait chassé, banni, lui, Ardolas fils d'Atallo ... pour son bien, évidemment, pour son bien !

Celeborn l'avait convoqué sur son talan.

" Mon neveu, je t'ai recueilli à la mort de ton père Atallo, pour protéger tes jeunes jours et t'apprendre le peu que je sais. Il est temps maintenant que tu ailles exercer tes talents dans le vaste monde. Tu es un Elfe valeureux, tu ne peux plus rester à ronronner parmi les femmes, quand les Orques, les dragons et les démons de Morgoth menacent la paix ..."

Avait-il écouté la suite ? Il ne s'en souvenait plus. La Dame, l'étincelante et sage Galadriel avait parlé, d'amour et de raison, sans doute, avec un sourire triste ... Mais il n'était plus là. Il revoyait cette fin d'après-midi où le soleil jouait dans la chevelure de Celebrian, sur le bord de la Nimrodel aux rives fleuries. L'air était doux du printemps commencé, la brise rieuse soulevait mèche après mèche les cheveux de Celle qui ... Il s'était agenouillé, le coeur enflammé, l'oeil étincelant. Elle avait scellé ses lèvres à tout jamais, d'un doigt si blanc si beau si tendre ...

"Ne dis rien. Je suis promise à Elrond. Que le soleil t'accompagne sur ta route."

Celeborn et son escorte rentraient alors, elle avait couru, il l'avait prise en croupe, elle s'était envolée.

*

Un brouillard épais, lourd comme une insomnie, montait inexorablement du cours des fleuves. Le grand Anduin, avec son escorte pâle de suaves niphrédils, la brillante Celebrant et même la facétieuse Nimrodel semblaient vouloir étouffer ses cris, et masquer cette douleur effrontée au doux pays de la Lorien sans tache.

En franchissant le cercle d'arbres blancs de Cerin Amroth, il vit une forme sombre autour d'un feu de camp ; à quelques mètres de là, à demi caché dans la brume, paissait en liberté un cheval rouan. Un charognard criait au-dessus d'eux.

" Bienvenu, hecilo (2). Une boisson chaude peut-elle tenter de réchauffer ton coeur ?
- Comment sais-tu que je suis exilé ?
- Je ne le sais pas en vérité, mais lourd est le pas du cheval dont le cavalier est sans volonté de partir."

Ardolas sourit tristement et mit pied à terre. Quand il eut fini de boire, je lui tendis ma harpe. "Je suis une tombe où dort plus d'un secret ; la musique peut-être peut t'aider à partir, puisqu'il semble que ton destin t'entraîne loin des feuillages dorés de la Lothlorien."

Alors, sur quelques arpèges mélancoliques s'éleva un chant si beau et si triste que le brouillard lui-même suspendit son étreinte ; le charognard se posa sur une branche basse, les deux chevaux dressèrent l'oreille, et surgi de nulle part, un loup noir et fauve vint se coucher pacifique auprès du feu.

"Namarïe (3), Lorien,
Namarïe
Lourde est ma peine
A te quitter ... "

Il chanta son enfance heureuse, et les yeux de Celebrian la Belle, son amie de toujours, les fous rires, les jeux, les secrets échangés dans les branches des mallornes, et puis hier cette certitude enflammée et son doigt sur sa bouche et son envol... et le départ ...

L'émotion étrangla sa voix, puis une colère sourde monta de son ventre.

" J'exige que sa vie soit limpide et facile
Que l'amour soit pour elle un esclave docile
Je perds avec bonheur si elle peut tout gagner
Mais je tuerai celui qui la fera pleurer. "

Il me rendit la harpe en soupirant.

" Tu pourrais la garder. Tu as un réel talent, et qui sait, ton destin n'est peut-être pas de faire la guerre aux Orques ?
-Sois remercié de ta bonté, étranger. Quel est ton nom ?
-On m'appelle ..."

Comme je me redressais pour me présenter, la cape noire qui me couvrait glissa à terre, découvrant la flamme ardente de mes boucles. Frère Loup s'assit à ma droite, Kyo le charognard battit des ailes sur sa branche, et ma jument Rolanya se posta derrière moi, un vrai tableau de famille.

Ardolas s'écria, me coupant la parole :

"Narwa Roquen, la Cavalière Ardente ! Je croyais que tu étais une légende !
-Il m'arrive de le croire aussi... sauf quand mon coeur est lourd d'un amour condamné au silence.
-Toi ?
-Et alors ? Pourquoi une sorcière d'à peine 548 ans ne pourrait pas être amoureuse ?
-Certes ...mais avec tes pouvoirs ...
-Chinya melin, nai ! (4) Regarde mes compagnons : je ne peux aimer que des êtres libres, et celui que j'aime a décidé librement de ne pas vivre avec moi .
-Et depuis tu parcours le monde ?
-Je suis ma destinée, comme tu suivras la tienne. Quand un désir est dans le sens de ta vie, il se réalise tôt ou tard. L'amour que tu laisses derrière toi, si cela est écrit, tu le trouveras un beau matin, courant à ta rencontre.
-Et si cela n'est pas écrit ?
-L'eau de l'Anduin n'a pas le même goût que celle de la Nimrodel, mais toutes deux t'ont désaltéré.
-Mais comment saurai-je si Celebrian est malheureuse ? "

Je lui montrai sur la harpe l'accord des sept harmoniques.

" Pendant que tu joues cet accord, visualise son visage. Comment est-elle ?
-Elle brode, en chantonnant. Elle a l'air serein.
-Voilà. La harpe te répondra.
-Mais si tu me la donnes ...
-Il y a d'autres moyens. "

Nous avons partagé le lembas, et puis chacun a repris sa route. J'ai contourné la Forêt Dorée, je n'avais pas trop envie de choses douces. Une étoile avait brillé sur l'heure de notre rencontre, mais je savais que maintenant Ardolas aussi serrait les dents. Pour lui au moins, je pouvais voir qu'il deviendrait un grand poète.

Sin simen, inye quentale equen, ar atanyaruvar elye enyare. (5)

N.d.A.

(1) : Je ne veux pas !
(2) : exilé
(3) : Adieu
(4) : Mon cher enfant, hélas !
(5) : Ici et maintenant je vous ai conté ce récit, et vous le raconterez à votre tour

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© Narwa Roquen



Publication : Concours "L'Adieu à la Forêt Dorée" (Mars 2001)
Dernière modification : 07 novembre 2006


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1 Commentaire :

z653z Ecrire à z653z 
le 23-09-2009 à 13h33
quelques fautes de typographie ; la mélancolie transparait bien dans le texte.


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