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La fille de Ryan

Devant moi se dessinait la falaise de Bray, le vent glacé soufflait avec force, le mois de Mars n'avait pas encore ramené la douceur printanière sur l'Irlande. Je frissonnai, en France le vent de la mer n'avait pas ce contact âpre et presque dur. Le ciel était gris, les vagues grises, je me demandais pourquoi j'avais eu l'idée saugrenue de faire ce voyage. Timidement, avec respect je m'approchais de l'eau, au bout de la plage les crêtes d'écume se fracassaient sur les rochers noirs. Du bout des doigts j'effleurai la surface de l'onde, le froid était saisissant.

Je fis demi-tour et allai m'asseoir sur les petits galets secs, mes pas laissaient de profondes traces dans le sable humide du bord.

Le chant de l'océan produisait sur moi l'effet d'une hypnose, mes yeux ne pouvaient pas se détacher des vagues et il me fallait un grand effort pour élever mon regard jusqu'à la fine ligne de l'horizon sans limites.

Doucement, un son se mêla au souffle des vagues et au frisson de l'écume, un son lointain et déformé comme l'écho qu'on entend au fond des coquillages, puis il se fit plus clair, c'était une voix de femme, mais une voix qui enveloppait tout qui remplissait l'espace jusqu'au creux des vagues dont elle semblait venir, hors du temps, une voix immatérielle. Le chant cessa.

Je clignai des yeux, au milieu des flots était une femme, très belle à la peau blanche et mate comme du marbre, ses cheveux roux auburn se détachaient en mèches et en boucles que le vent faisait onduler, le bas de son corps se fondait dans la mer comme les racines d'un arbre se fondent dans la terre. Elle était vêtue d'une robe légère aux reflets changeants, allant du gris au vert sombre, comme si la substance de l'eau s'attachait à elle.

Son visage était d'une beauté étrange, triste et mystique, elle me regardait avec une expression énigmatique. Un mélange de douleur, de doute et de compassion marquait ses traits, son regard plongea devant elle dans les vagues puis se leva à nouveau vers moi comme un appel.

Un bruit de pas précipités me fit me retourner, à une cinquantaine de mètres de moi une jeune fille courait vers l'eau.

La femme avait disparu. Je courrais vers la jeune fille, essayant de la rattraper.

" Arrête ! criai-je. Non, arrête toi ! "

Elle s'engouffra dans les vagues et continua de courir, luttant avec le courant jusqu'à ce qu'elle perde pied, s'enfonçant dans l'eau tourbillonnante qui l'entourait de toute part.

Je jetai mon manteau et entrai dans les vagues à mon tour, le froid me coupa le souffle. Il fallait lutter ou elle se noyait ...

Je nageai avec difficulté, la cherchant, le bout de sa robe blanche flottait. Je plongeai et ouvris les yeux avec peine, le sel et le froid me brûlaient les yeux. Enfin mes bras se refermèrent sur elle. Péniblement je me rapprochais du bord, la maintenant toujours la tête hors de l'eau. Quand l'eau m'arriva à la taille je m'arrêtai. Sa peau était blanche et pâle, son corps raide et glacé. Elle pouvait avoir à peine avoir deux ou trois ans de plus que moi, nous étions aussi brunes l'une que l'autre.

" Réponds-moi murmurais-je, parle je t'en supplie... "

Mais elle ne répondait pas, ses yeux restaient fermés. Je cherchai son pouls, écartant de son cou les plis de sa robe, une robe d'un autre temps, faite d'une toile de lin comme on la tissait au Moyen Age. Son coeur ne battait plus. Elle était morte.

Je fus surprise par la chaleur des larmes qui coulaient sur mes joues, je tenais toujours la jeune fille contre moi, impuissante.

Une main tiède se posa sur mon épaule, c'était la femme rousse qui me parlait, une langue que je ne comprenait pas.

" Elle s'est noyée, je n'ai rien pu faire, dis-je, elle s'est jetée dans l'eau ..."

Du bout des doigts, elle enleva les mèches qui barraient le front de la jeune fille, son visage s'assombrit en la reconnaissant. A nouveau elle me parla, je fis un effort pour essayer de détacher des syllabes, je reconnaissais cette langue, c'était du gaélique. Peu à peu les mots se détachèrent dans mon esprit, mes oreilles ne comprenaient pas mais les paroles se formaient en moi comme un écho, une chanson déjà entendue, une vieille légende que j'avais du lire ...

" Quelle ivresse de m'anéantir dans son ventre
L'océan a froid, ma vie comme la fille de Ryan ..."

C'étaient les paroles d'une chanson, " l'amour naissant ", la fille de Ryan c'était elle, je la tenais dans mes bras, et elle était morte.

" Prononce son nom, elle pourra partir." ce furent les derniers mots de la femme.

Son nom... je le connaissais bien, je l'avait oublié, il avait dormi dans mes souvenirs, la légende était vraie.

" Rianna, c'est son nom "

Alors le femme la souleva doucement et me sourit, elle l'emporta dans les vagues, toutes deux disparurent. J'ouvris les yeux, j'étais trempée et je grelottais, bizarrement je portais toujours mon manteau. La mer n'avait pas changé d'aspect mais elle était vide et calme.

Je retournais vers la route qui longeait la plage, les autres s'étaient regroupés, on allait partir. Personne n'avait rien vu, je dis que j'avais glissé sur les rochers et que j'étais tombée à l'eau. Dans ma tête l'air de la chanson était revenu tout à fait, je le fredonnais pour moi même, me demandant si je n'avais pas rêvé tout ça.

" Quelle Irlande voudrait oublier ses légendes ?

L'océan a froid, ma vie comme la fille de Ryan "

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© Kendra



Publication : Concours "Par delà la Mer de l'Ouest" (Juillet 2001)
Dernière modification : 07 novembre 2006


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