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Kezor'hal

Lili, les yeux en larmes à cause du froid, vient juste de ramener trois chevaux échappés du hangar, à l'orée de la forêt, si on peut appeler ça un hangar. Le lierre a recouvert la plus grande partie des murs à tel point que l'on ne voit que quelques centimètres de planches pourries juste au-dessous de l'avant-toit. Les chevaux n'ont qu'à donner un coup de sabot dans la porte pour ouvrir celle-ci. La neige tombe depuis déjà quelques heures, elle recouvre d'un duvet blanc le sol et les arbres de la forêt. Pourtant, on est en plein mois de juin. Jamais dans la région de mémoire d'homme, on a vu un pareil phénomène se produire. En une journée, les arbres ont perdu leurs feuilles vertes et les fleurs ont gelé sous la neige. Tous les bruits sont étouffés, plus profonds donnant au chênaie un air mystérieux. Un souffle glacial s'engouffre dans sa longue chevelure brune, lui recouvrant le visage. Une bourrasque plus puissante que les autres la projette à terre. Ces mains s'enfoncent dans la froidure moelleuse de la neige. Elle retire brusquement les mains qu'elle a eu l'impression de s'être brûlées.

A genoux dans la neige, elle regarde ses paumes qui rougeoient puis reviennent doucement au blanc bleuté. Elle a de nouveau froid. Elle fronce les sourcils, elle ne comprend pas. Elle les frotte sur son manteau en peau afin de les réchauffer. L'endroit où ses mains s'étaient enfouies quelques instants auparavant, a déjà été effacé par la neige. Elle relève alors la tête.
Une ombre furtive passe au loin derrière les arbres. Un cheval, noir, il a dû s'échapper. La fureur dans les yeux, elle court au hangar monte sur une jument blanche, Pym. Elle s'élance au galop, au passage, elle claque la porte. Elle traverse la forêt, le vent lui fouette le visage et les mains. Sa fatigue accumulée la journée, disparaît.
-" Ya ! Ya ! Cours Pym, plus vite il faut qu'on le rattrape ! " Crie t'elle aux oreilles de sa jument qui accélère l'allure à ces mots.
Les flocons se suspendent à ces cils l'empêchant de voir. Les longues silhouettes noires et solennelles des chênes défilent devant elles. Elle ne sent plus ses doigts et ses oreilles.

La nuit commence déjà à assombrir la forêt, elle ralentit, plisse les yeux afin d'apercevoir le cheval. Elle le discerne au loin, dans la pénombre se mêlant à sa silhouette, il est immobile. Elle donne un cou de talon sur les flans de Pym qui reprend sa course au galop. Lili n'a pas besoin de la guider, la jument semble se diriger d'elle-même vers l'ombre. Plus elles s'approchent, plus la jument ralentit malgré les coups de talon de Lili. La pleine lune s'est, entre temps, élevée dans le ciel. Les nuages qui la drapaient se retirent soudainement. A sa lumière, elle voit maintenant parfaitement le cheval au milieu de la clairière. C'est un étalon, sa robe est d'un noir brillant où semble se refléter la lune. Il est plus grand et plus majestueux que tous les chevaux qu'elle ai vu auparavant.
Elle descend de sa jument et s'approche doucement du cheval, il fait tellement froid qu'elle a dû mal à respirer. La voyant approcher, l'étalon pousse un long et puissant hennissement qui déchire la nuit. A ce bruit, le vent semble s'être arrêté. Il frappe le sol régulièrement de ses immenses sabots. Lorsque Lili se risque à faire un pas de plus vers lui, malgré son coeur qui lui fouette la poitrine, de gigantesques ailes noires se détachent de son flan et fouettent furieusement l'air. Lili horrifiée à cette vision tombe en arrière, puis comme quelques temps auparavant retire prestement ses paumes cramoisies et brûlantes, de la neige. En se retournant, elle voit Pym s'éloigné au trot vers le hangar, invisible par ce blizzard. Elle tourne alors ses yeux vers le troublant cheval qui continu à marteler le sol et battre des ailes.

Les yeux grand ouverts, Lili regarde l'étrange scène : dans la clairière la neige fond, laissant alors voir l'herbe pousser à toute vitesse. Il en est de même pour les chênes à qui de leur ramure grandissent de petites feuilles vertes. La neige ne tombe plus. D'entre les racines des arbres, s'illuminent des dizaines de grosses lucioles. L'une d'elles s'approche de Lili à vire-voltant. Lili n'en revient pas ce n'est pas une luciole, c'est une femme pas plus grande que la main, volant grâce à des ailes de papillons fixées à ses omoplates. Elle porte une petite lanterne quelle tient à hauteur des yeux de Lili. Elle lui parle d'une voie claire et précipitée dans un langage inconnu. Toutes les autres lucioles-femmes s'approchent elles aussi. Toutes se mettent à lui parler, surexcitées. Affolée, Lili n'arrive même pas à émettre le moindre son, elle tente de reculer, mais l'étalon en deux enjambées furieuses la rejoint et la relève à l'aide de son museau... Il l'a pousse délicatement jusqu'à l'autre bout de la clairière. Le contact du souffle chaud du cheval dans sa nuque la réconforte. Mais, en levant les yeux elle aperçoit un corps.
Là, dans la pénombre est étendue une jeune femme, à peine plus âgée qu'elle. Ses vêtements en peau la recouvrent partiellement, son ventre, ses bras et ses jambes sont nus découvrant une peau couleur d'albâtre. Des oreilles allongées et pointues dépassent de ses cheveux argentés.
-" Une elfe ". Dit Lili à voix basse.
Elle se souvient maintenant des légendes que son père lui contait sur les elfes. C'est le plus magnifique être qu'elle ait jamais vu.
Du sang rouge vif s'écoule lentement de grandes entailles au niveau de l'épaule et du ventre. Elle s'approche de plus près se croyant en plein rêve. Au moment où elle s'agenouille auprès de son épaule, l'elfe ouvre ses grands yeux verts foncés, elle agrippe le bras de Lili et lui parle de la même langue que celle qu'avaient employé les lucioles.
La peur tenaille son ventre et des larmes roulent sur ses joues tellement les questions se bousculent dans sa tête.
-" Je ne vous comprends pas, je ne vous comprends pas " chuchote apeurée Lili.

Semblant réaliser, l'elfe lui tend un bracelet fait de fleurs bleues et jaunes. Lili, d'un geste inconscient l'enroule autour de son poignet.
-" Vous me comprenez maintenant ? " Demande l'elfe.
-" Oui, mais... " Lili ne comprend pas, ne comprend plus, elle se pince et la douleur lui fait comprendre que c'est la réalité. Elle fronce les sourcils et tente de rattacher ça à un élément rationnel.
L'elfe voyant son désarroi reprend la parole :
-" N'ayez crainte ça va aller. Je suis Haerial, une elfe. J'ai réussi à nous amener moi et mes compagnons dans votre forêt le temps de guérir et de reprendre nos forces. Nous venons d'un autre monde et grâce à l'esprit des arbres, pouvons voyager dans les autres. "
Au fur et à mesure que Haerial parlait, Lili se sentait apaisé et recouvrait ses esprits.
-" Alors... Vous êtes bien une elfe je ne rêve pas ? "
-" Non vous ne rêvez pas. Comment vous appelez-vous ? Etes vous jeune ? Quel est ce monde ? "
-" Je... Mais... Vos blessures n'est-ce pas plus urgent ? "
-" L'important pour moi c'est d'abord d'apprendre à connaître le lieu et les personnes nouvelles que je rencontre alors répondez ! " Dit-elle d'une voix douce et ferme à la fois.
-" Très bien... Je m'appelle Lili et j'ai 19 ans et vous êtes sur ce que l'on appelle ici la planète Terre. Si vous voulez dire par connaître, savoir si vous êtes en terrain ennemie, alors je vous dis oui. Les gens d'ici ne sont pas très ouvert pour ce qui pourrait troubler leur équilibre. Et, moi... Je dois dire que je suis surprise. Quoique j'ai bien dépassé le stade de la surprise, cependant je suis prête à vous aider. " balbutia t-elle.
-" Je vous remercie infiniment. Mes blessures ne sont pas très grave, je cicatrise vite, si vous pouviez simplement m'y appliquer de la neige. "
A ces mots Lili acquiesce et obéit. Si Haerial a mal, elle ne le montre pas. Un long silence s'abat sur la clairière, l'elfe s'est endormie, déjà les blessures ont commencé à cicatriser. Les lucioles s'approchent en volant doucement et l'une d'elles se pose sur la main tendu de Lili.
-" Venez Lili, suivez-nous ! " Dit-elle dans un souffle.
Lili rejoint les lucioles quelques mètres plus loin. L'étalon, marche tout autour de la clairière sans jamais s'arrêter ni détourner son attention de ce qui semblait être sa tâche.
Les lucioles se pressent autour de Lili et l'une d'elle prend la parole :
-" Nous te remercions Lili de ce que tu as fais, nous savons que tu as l'impression d'avoir fais peu mais pour nous ce fut beaucoup. Nous sommes déjà venu dans ce monde auparavant, d'habitude, les gens d'ici veulent nous capturer, nous avons maintes fois été obligés de leur ôter la vie. Kezor'hal, ce que chez toi tu appellerais " un cheval ", est notre guide il est en train de rouvrir le passage avec notre monde, nous devons nous hâter de partir. "
En effet, Kezor'hal, accélère l'allure de ces pas, plus il prend de la vitesse plus la clairière s'illumine.
Le vent recommence à souffler. Si fort que ces oreilles sont remplies de bourdonnements.
-" Attendez ! " Crie t-elle dans ce vacarme.
Haerial se relève et s'étire, marchant avec grâce sans être gênée par le vent et le froid, elle s'approche de Lili et dit :
-" Mon enfant, cela fait des centaines d'années que je n'étais pas venu ici, je suis ravi de constater qu'il y a au moins un être sur cette Terre qui semble avoir une lueur en lui. Nous te remercions encore. Garde ce bracelet en souvenir de nous, chaque fleur représente l'un de nous. Adieu. "
Les lucioles, en ce qui semble être un éclair, retourne au sein des racines. Haerial, elle, court et saute sur le dos de Kezor'hal malgré que celui-ci galope comme le vent autour de la clairière et batte furieusement des ailes.
Le bruit résonne de plus belle dans les oreilles de Lili qui observe sans voix la scène, elle arrive à peine à suivre des yeux, le cheval dans sa course, puis tout à coup, tout s'arrête.

Tout est calme, aucun bruit, le vent et la neige se sont arrêtés et la chaleur commence à pénétrer sa peau. Ils ont disparu. Déjà les premières lueurs de l'aube pointent à l'horizon et l'éblouissent. Lili reprend alors sa vie.

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© Eve



Publication : Concours "Songe d'une nuit d'été" (Janvier 2003)
Dernière modification : 07 novembre 2006


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