L'homme s'arrêta et s'assit sur un petit rocher au bord de la route. Il pleuvait des cordes et le froid s'insinuait à travers ses vêtements mouillés pour venir déchirer son corps jusqu'aux entrailles. D'ordinaire, nul voyageur ne s'attardait par ici ; aucun d'eux ne souhaitait servir de cible aux gobelins de la région. Ces derniers utilisaient des sarbacanes et se dissimulaient si bien que personne ne les voyaient jamais. Leurs fléchettes empoisonnées venaient se ficher dans la peau aussi habilement et efficacement qu'une trompe de moustique, et l'infortuné voyageur s'endormait pour ne plus jamais se réveiller. Mais avec un temps pareil, même les gobelins restaient à l'abri.
L'homme frissonna. Un long spasme qui partait des épaules et descendait en agitant chaque muscle. Les vieilles femmes de son village prétendaient que, lorsque la mort venait, celui qu'elle cherchait se sentait soudain particulièrement bien. Une vague de chaleur apaisante traversait le corps et, lorsqu'elle le quittait, elle emportait l'âme avec elle. Mais c'était là une chance réservée aux enfants sages et aux hommes justes : les mécréants subissaient une chaleur plus forte, et ils se consumaient de l'intérieur dans une longue agonie. L'homme ne savait pas s'il était un juste ou un mécréant, en tout cas il était sûr que la mort était à des lieues d'ici.
L'homme regarda sur la droite. La route était bordée d'une forêt au sous-bois épais. Il faisait un peu plus clair, et le soleil commençait à darder quelques rayons discrets derrière les nuages. Malgré cela, il était impossible de voir très loin au-delà de la lisière des arbres. Cette forêt était à la fois crainte et respectée : les tribus de nomades pensaient qu'elle entourait la demeure du Dieu-Reflet, une divinité étrange entourée de miroirs dont chaque reflet correspondait à une vie en ce monde. Il n'y avait guère que les nomades pour croire à ces choses, mais la forêt étant sacrée pour eux, personne ne s'y aventurait. Ce n'était pas la peine de contrarier ces rudes gaillards pour un petit bois sans intérêt.
L'homme huma l'air. Les nuages avaient fini par s'en aller, et le froid se faisait de moins en moins mordant. La hausse de température apportait avec elle les relents nauséabonds du marécage qui se trouvait quelques centaines de mètres plus bas sur la route. Avant d'envoyer son messager en mission, le roi lui avait recommandé de ne point s'attarder en chemin. La missive était d'importance, à n'en point douter. Mais le roi en rajoutait toujours plus qu'il n'était nécessaire : c'était la marque des puissants. Il n'avait pas manqué de lancer une belle phrase pour l'occasion. " Prends garde, avait-il dit, car lorsque tout paraît aller mieux, c'est que nous ne voyons plus ce qui ne va pas ".
L'homme soupira. La pluie avait complètement cessé. Il faisait bon à présent. Les rayons du soleil donnaient au feuillage du bois sacré un aspect d'or. L'odeur du marais était repartie, oubliant derrière elle un moustique solitaire qui vint piquer l'homme dans le cou. C'était le temps idéal pour faire une petite sieste et se remettre d'une longue chevauchée. L'homme se laissa glisser de son rocher et, lorsque son corps toucha terre, il y eut comme un bruit de verre brisé.
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le 29-08-2006 à 22h35 | Fin de la route... | |
Très beau texte, très poétique. Un style léger mais maîtrisé, qui dit juste le nécessaire. On devrait toujours croire les légendes... |