Au loin lui apparaissait une ombre menaçante. C'était une vague forme, haute et imposante, le narguant presque. Lui peinait à l'atteindre, rassemblant à chaque pas ce qu'il lui restait de volonté pour continuer. C'était à chaque fois l'effort d'une vie ; il s'étonna de n'être pas mort. Et il continuait toujours, lentement et inexorablement, vers la silhouette qui se dressait devant lui, qu'il espérait de tout son coeur vaincre. Et la montagne continuait à l'observer d'un oeil amusé - comme si elle avait eu un oeil - tandis qu'il progressait misérablement. Tout se jouait là.
Tout avait commencé il y avait de nombreuses années maintenant, alors qu'il n'était qu'un tout jeune homme à courir les chemins. Au début, ç'avait simplement été un pari stupide comme on en fait souvent à cet âge, un pari entre amis où toute une réputation se joue. Vous savez, au premier abord, cela paraît peu de chose, mais au fond la victoire comme la défaite comptent beaucoup, cela permet d'acquérir un certain respect auprès de ses camarades, un peu comme celui dû à l'aîné. Certains collectionnaient ces petites médailles de bois taillés, symbole de leur surpassement. C'était une façon de construire sa route vers l'âge adulte, et cela plaisait aux petits comme aux grands.
Pour lui, ç'avait été la journée du rêve. Un matin comme chaque jour, il s'était éveillé avec dans son esprit un peu de brume, et en réfléchissant bien il avait trouvé ce que c'était : la vision d'une très haute montagne, belle, splendide et inaccessible, qui rayonnait et crachait d'immenses coulées rouges. Il n'avait pu s'empêcher d'en parler à ses amis et le pari était tombé. Au premier qui la trouverait.
Il est temps de faire une petite pause dans mon histoire. Vous pensez certainement que tout ceci n'est qu'un conte, que ces histoires de montagne et de rêve ne tiennent pas debout, et je vous vois sourire, je devine votre pensée... Vous imaginez que c'est bien trop fantaisiste, que mon héros ne trouvera jamais sa montagne. Détrompez-vous bien vite, il s'agit d'une contrée du monde où tout peut arriver, une contrée si lointaine que la route s'en est perdue - bien qu'il existe encore certains chemins de traverse dont j'ai le secret qui vous y mèneraient prestement - où tout est bâti sur l'essence des rêves. Les songes y faisaient partie de la réalité, en somme. Mais reprenons.
Notre ami s'était donc mis en route avec ses compagnons. Ils avaient partagé un petit bout de chemin ensemble et s'étaient finalement séparés en prononçant serment sur serment de trouver bien vite cette montagne. Certains commençaient à être impatients, d'autres murmuraient à une trop grande entreprise - mais n'en soufflaient mot, pas question de se ridiculiser - mais il fut finalement décidé de se retrouver tous ici même dans un an et un jour. Date démesurée pour certains, astreignante pour d'autres. Mais tous ces avis restaient dans le secret.
Lui se mit donc en route, avec l'avantage d'avoir vu le but de leur quête. Il erra de longs mois sur les routes usées, vit de charmants paysages et des contrées inconnues. Il faisait son plein de souvenirs. Il parcourut longuement le monde, prenant chaque jour un vrai plaisir à voyager seul, à retrouver la félicité du soir, la fraîcheur du lendemain, la persistance du jour. Tout ceci jusqu'au jour où il Le rencontra.
Qui était-Il ? Je ne saurais vous le dire. Il ne s'était donné aucun nom, et se gardait le privilège d'en choisir un. Son âge ? Il était sans âge. Je sais simplement qu'Il croisa son chemin, qu'Il allait là vers quelque destination inconnue et qu'Il semblait finalement très heureux de le croiser. Ils firent un bout de chemin ensemble, parlant de quelques souvenirs de marche. Le garçon était assez bavard, et l'autre se taisait la plupart du temps. Il écoutait, souriait, acquiesçait. Ce n'est pas désagréable lorsque l'on marche, m'a-t-on dit.
Ils passèrent donc quelques temps ensemble, quelques doux moments de voyage en somme. C'est de ces moments là qu'on se souvient des années après, de retour au foyer, et qu'on raconte à ses enfants au coin du feu en disant "Je me souviens... J'étais jeune en ce temps-là... C'était là que je vivais vraiment...". Et on se souvient, on espère le revivre, et puis le temps passe et on ne reprend jamais vraiment la route. Rare sont ceux qui, le poids de l'âge venu, refont ce voyage. Ceux-là ne sont jamais vraiment de retour, et ne reviennent jamais.
Mais j'oublie notre garçon. Il discutait donc avec Lui jusqu'au jour où il décida de Lui parler de la montagne - il avait jusqu'alors hésité. Après tout, c'était un pari entre amis, on ne parle pas de cela à tout le monde -. Lui sourit, et dit "N'oublie jamais cette montagne, c'est là qu'est ton trésor". Et Il disparut aussi rapidement qu'un oiseau surpris. On ne le revit jamais, et le conte ne parle plus de Lui. Au fond, le garçon s'en réjouissait, il commençait à se lasser de cette présence vieille et lente qui ne lui parlait jamais. Il put reprendre sa route un peu plus léger, avec cependant cette petite hésitation quant à ce qu'Il lui avait dit. Cela lui semblait un baragouinage de vieillard, mais au fond quelque chose lui disait que non. C'est qu'il commençait à s'attacher à cette fichue montagne, et qu'il s'impatientait de la trouver.
Mais il était aussi reconnaissant envers Lui. Il connaissait d'innombrables chemins et lui avait donné la bonne direction. Il connaissait la montagne. En fait, Il savait beaucoup de choses.
Le garçon parcourut de longues routes, les paysages défilaient... Il vit de vastes plaines, des rivières lentes charriant d'innombrables navires, des forêts immenses où le jour s'efforce de percer avec difficulté, et il marchait toujours. Il faut dire qu'il était têtu. Et puis vint le jour où le chemin commença à se vallonner, la plaine se changer en collines toutes rondes, et tout ceci s'éleva peu à peu, le froid grandit. Il arriva finalement dans une région de montagnes où la neige souriait aux voyageurs. C'était une belle région, bien ordonnée, bien dessinée. Il y avait parfois dans le ciel la fumée d'un chalet, et les étoiles brillaient, se reflétant dans la glace. Des auberges aussi, pour accueillir les voyageurs, où un feu flambait dans l'âtre, où il faisait bon vivre car l'accueil était presque aussi chaleureux que le coin du fauteuil près de la cheminée. Il aimait beaucoup ces endroits inattendus, pleins de bonheur et de vrai plaisir. Il y avait souvent un chat ou un chien qui venait s'allonger sur vos pieds, tout agréablement chaud, et vous tenait compagnie le temps d'une soirée. Et puis les lits étaient délicieusement douillets, avec une bouillotte chaque soir préparée à votre attention. Chaque recoin respirait le confort, avec ses murs de bois un peu irrégulier et ses grandes poutres vieillies qui avaient déjà servi à la maison du grand-père. On avait du mal à quitter ce toit pour le froid du dehors. Mais c'était ainsi, le hasard de la route. Le voyage est fait de repos aussi.
Mais je m'attarde à vous décrire ces auberges, c'est vrai que je m'y plairais bien. Il faut me pardonner, je n'ai pas eu la chance de voyager et d'y retrouver le plaisir du coin du feu, les chants, les danses... Mais oui, mais oui, je reviens à notre garçon.
Ainsi donc, il parcourait cette région montagnarde, s'arrêtant aux fumées des chalets, continuant sous l'égide du soleil ou sous les sourires des étoiles. Les nuits étaient belles. Et puis vint le jour où il n'y eut plus de neige, bien que les sommets ne descendissent pas. Il y avait même certains endroits où il faisait chaud comme dans la plaine lointaine en aval. C'était une région de volcans, mais le garçon ne le savait. Il ne le sut que plus tard. Il me faut vous raconter cet événement, je vous vois tout prêts à sourire. C'est un épisode qui prête à rire.
Cela commence une nuit comme les autres. Les fumées étaient bien loin - elles se faisaient rares -. Il avait dû se résoudre à dormir à la belle étoile - et qu'elles étaient belles, ces étoiles ! - au début tout frissonnant. Mais il pensa à un vieux souvenir - non, je ne vous dirais pas à quoi il pensa, cela ne regarde que lui - et s'endormit enfin en souriant. Il fit un drôle de rêve. Il rêvait qu'il pénétrait dans l'antre d'un dragon, une caverne fort bien aménagée d'un point de vue draconien, avec un ruisseau qui alimentait un petit bassin et de nombreux recoins pour se dissimuler. Et bien d'autres choses qui ne feraient qu'allonger inutilement mon conte. Il y entrait donc et commençait à ressentir une vague chaleur. Au début ce n'était pas désagréable, mais la chaleur se fit insistante, et notre héros comprit bien sa situation. Cela ne l'empêcha pas de continuer, tiraillé par la curiosité. Mais il eut tellement chaud qu'il se jeta dans l'eau. Il fut bien surpris.
L'eau était brûlante. Si brûlante qu'il se réveilla. Et quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'il vit qu'il était encore dans l'eau chaude, à barboter maladroitement. C'était un geyser bien sûr, vous le savez bien, mais lui n'en avait jamais entendu conter, et il était vraiment perplexe. Il hésitait à sortir, parce qu'on y était bien. Quoique... Il faisait tout de même très chaud. Il sortit, grelottant. La différence de température lui offrit un rhume.
Il attendit le lever du soleil et reprit la route, se séchant à sa lumière. Mais il avait prit froid et commençait à se lasser de se voyage. Il devint excédé. Il tenta de marcher plus vite, mais il se fatiguait trop et avait mal aux pieds. Il finit par devenir vraiment las. Le voyage léger devint effort, douleur. Persévérance.
Mais il continua, plus porté par l'honneur et la crainte de la honte que par tout autre chose. Cela devenait difficile, mais il sentait que tout cela était bientôt terminé. Et il persévérait.
Je peux maintenant reprendre mon récit où je l'avais commencé. Vous connaissez la fin, de toute façon. Comment ? Vous ne savez pas ce qu'il lui arriva ? Eh bien, figurez-vous qu'il la trouva, sa montagne. Le voyage fut long, mais il la trouva. Il ne trouva pas de trésor, il fut un peu déçu. Mais il y en avait un. Le vieil homme ne s'était pas joué de lui. Quel était-il ? Je vais vous le dire. Il était très simple. Certains cependant mettent une vie à le trouver, mais notre héros - normal puisque c'est un héros, allez vous me dire - grâce à son courage, le trouva au cours d'un voyage. C'était bien de la chance. Et qu'était-ce ? vous impatientez-vous. Oh, c'est bien simple, il avait trouvé son destin. Grâce à la persévérance.
C'était sa montagne, son destin. Ce qu'il advint de lui ? Il s'adonna à la science des volcans, et je peux maintenant conclure mon conte, parce qu'il vécut heureux et eut de nombreux voyages encore.
Et maintenant laissez moi me reposer un peu, j'ai la gorge sèche et je mérite bien cette place là-bas au coin du feu. Et puis il m'est venu l'idée de quelque conte dont je vous donnerais bientôt des nouvelles. Mais voyez donc, mon verre est vide. Allons, n'y a-t-il rien pour un pauvre conteur ? Ho là, jeune homme, venez donc là et aidez-moi. Oh et zut, laissez-moi donc à mon conte, la réalité est bien trop lourde à porter ce soir. Allez vous-en, laissez-moi rêver un peu, loin des tourments de ce monde.
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