La ville sans nom abrite bien des coins et des recoins, petits jardins secrets, placettes ensoleillées, ruelles obscures ; mais aussi lieux publics, étals de marchand, lieux de prière. Hum qu'il fait bon venir se réchauffer en hiver au près du feu du fournier tout en goûtant le croissant chaud. Ou bien flâner au bord de l'eau et croiser le rire de jeune fille en quête de conversation. Arrêtez-vous un instant avec les trois petits vieux sur leur tronc d'arbre, ils ont toujours des sourires à partager. Je vous invite aujourd'hui à une petite visite dans un coin à écart du quartier haut, dis de la Hauture, un quartier paisible et attachant. Nous avons rendez-vous au 12 de la rue des escarts chez un étrange petit homme.
Cette rue des escarts part de la place aux herbes et monte jusqu'à la hauture par une suite de longues marches digne de la foulée d'un géant. Le pavé est usé, parfois absent. Cela fait bien longtemps que des herbes s'immiscent entre les pierres quand ce n'est pas du lierre ou des rosiers grimpant qui enveloppe les vieilles façades. C'est une rue étroite qui lézarde sur le coteau. Parfois même les maisons sautent par-dessus la rue, sur des voûtes de pierre ou des planchers de bois aux poutres grisonnantes. Voilà un cabinet de lecture, un boudoir dont l'heureux habitant profite de la lumière du couchant où bien s'attarde à observer les passants. La vie, ici, est paisible, immuable, quelque peu oubliée, rythmée par le fleurissement des jardinières et les pas de rares flâneurs.
Au 12 de la rue des escarts habite un vieil homme. On l'appelle Johan Tourvel. Il tient boutique d'une certaine manière. Une fort modeste boutique : deux cannes de façade, une devanture en arc de pierre aux volets intérieurs. Seule une fenêtre à meneaux à l'étage, et une enseigne de fer forgée à l'émaille éclaté distingue la maison de ses voisines. Une enseigne qui surprend, elle représente un lutin genoux croisés, perdu dans des feuillages, en train d'écrire une lettre ou bien un sonnet. De la rue, vous n'apercevriez qu'un escalier droit qui doit mener à l'appartement et si par curiosité, vous vous approchiez des verres teints, là une cheminée, un écritoire, deux gros fauteuils, des livres et des babioles. La maison jouit par derrière d'un tout petit jardin de ville dont notre hôte prend un soin tout particulier. Les chats ont usage de se visiter chez lui et de venir regarder et surtout surveiller le travail de notre homme. Une maison fort simple.
A l'âge ou j'ai connu Johan, il avait une allure discrète, souriante, voire guillerette parfois. Toujours vêtu de toile aux teintes vertes et ocres, cape lourde quand le froid vient à nous visiter. Seule coquetterie un couvre chef en toute saison pour dissimuler dans les ombres une fort mauvaise cicatrice. Un long trait blanc tracé sur le visage, couturant son oeil droit. Mais l'oeil bleu et ses rides respirent la joie, la bonhomie et la malice....
Sa silhouette est familière dans la ville et nombre des passants le salue. Maintenant qui était cet homme ? Peu auraient su vous répondre. Sa plus proche voisine quant je l'interrogeai me dis de me mêler de mes affaires et pourtant un sourire était sur ces lèvres. Au gardien de la hauture j'eut un meilleur accueil. " C'est son ami, me dit-il. Quant il a un moment il vient se promener, nous échangeons de simple propos. Quelqu'un de bien " m'assura-t-il.
Sa tache me direz-vous ? Que fait cet homme apparemment si simple ? ... C'est un faiseur d'histoire. Oui en vérité un drôle de métier. J'en conviens. Oh n'allez pas imaginer qu'il crée des problèmes à son voisinage ou qu'il manigance des tromperies. Même si cela lui serait facile et que je le soupçonne d'avoir parfois fait en sorte que certain fâcheux se tiennent coi. Non, son métier, son art est plus subtil. Mais comment vous expliquez la chose.
A la base, notre homme est un écrivain public. Sa tache est d'écrire pour ses clients. Un métier qui semble simple en apparence. Mais cela ne s'arrête pas à tremper sa plume dans l'encre et gratter sur du parchemin. Il est là aussi pour aider les gens à trouver les mots et cela n'est pas toujours le plus simple, tant pour un acte officiel ou des émois de son coeur. Pour cela il doit écouter, sentir l'au-delà des mots, suivre et parfois précéder leurs pas sur leur chemin de vérité.
Mais notre homme ne s'arrête pas là. Et vous l'avez certainement déjà comprise, sa spécialité est bien plus étrange encore. Au-delà de l'écrivain, du confident, il y a un conteur. Car comme tout à chacun il a besoin d'une part de liberté. Et il lui arrive d'écrire l'histoire de ses clients. Ou devrais-je dire re-écrire l'histoire de ses clients...Comment ça re-écrire me direz vous ? Quoi cet homme serait un falsificateur, un malandrin des lettres ! en un mot un Menteur.... Mais ce sera à vous de juger.
Bien des personnes lui demandent son service : tel vieil homme qui veut avoir une oreille compatissante sur sa vie, tel autre qui entend que les siècles avenirs se souviennent du grand homme qu'il fut. Mais aussi des guildes ou tel consul ou notable.
Certains de ses clients s'attache à retracer point par point leur vie et notre homme s'attache, dans ses cas là, de la véracité des dires, documents, témoignages.
D'autres au contraire ne lui demande rien de tout cela. Il est des passés qu'il convient d'effacer parfois. Des passées trop lourds. Telle dame tient à oublier une jeunesse par trop accueillante. Telle fortune fut par trop rapide. Quant ce n'est pas crime lâcheté trahison qu'il convient d'effacer.
Des passées trop légers aussi. Ce sont : des hommes timides qui viennent lui rendre visite, ils n'osent à peine frapper à sa porte...Et leur récit de leur vie ne prend guère de temps. Ou d'autres homme que leur travail a fait oublier de s'occuper de leurs enfants ou de vivre leur vie. Il eut même un moine qui sur le tard renonça à sa vie d'ermite.
L'art de notre homme prend alors une tout autre dimension. Il écoute longuement, s'attarde sur des détails ? explore les rêves et les désirs de ses visiteurs. Cette phase préparatoire prend parfois des jours et des jours...Il visite les lieux parle avec les proches.... Refaire sa vie mérite qu'on y prenne son temps. Et puis notre homme est un maître dans son art. Il prend son temps, se nourrissant des mots de confidence de rêve...
Et puis les rôles s'inverse. Il n'écoute plus. C'est lui qui parle c'est lui qui conte. Et attention, son récit est impeccable, nul ne saurait contredire sa version. Il fournit même à ses clients bien des éléments : arbre généalogique, papiers officiels et certificat mais aussi objets de souvenir, une armoire de grande mère s'il le faut, un masque ou une sarbacane venue de contrée lointaine.
Son art est tel que les visiteurs en sont proprement bouleversés voire métamorphosés. J'eus l'occasion de croiser certains de ses amis comme les appelle Johan avec une certaine affection. Le Paul souvenez vous qui été si triste maintenant, il rit et passe pour un joyeux drille. Et que dire des éloges que me fit la Mathilde en trouvant enfin un mari aimant en son homme. Lui que la rumeur disait violent.
Le plus étrange est que ses clients parfois semblent oublier leur ancien passé. Es-ce oubli volontaire ? Non, l'art de notre homme est tel que nul ne songe à regretter.
Vous semblez perplexe voire même inquiet. Quel pouvoir a donc cet homme ? Oui en de mauvaise main, je frissonne d'y penser. Mais vous-mêmes n'aimeriez vous pas le rencontrer ?
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