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Prélude nocturne

Fazel se faufilait entre les ombres nocturnes et dans les herbes sauvages. Sa silhouette semblait fluide, comme dansante, et d’ailleurs tantôt courant, tantôt sautillant, il esquissait des petits pas qui le rendaient semblable au vent. On l’eut pu prendre pour Hermès le messager, mais cela n’était point sa qualité et s’il s’en allait d’un pas alerte en une heure si tardive, ce n’était pas en vue d’une commission, et d’ailleurs il ne cherchait pas à respecter le principe qui fait de la ligne droite le plus court chemin entre deux lieux.

Fazel trouvait ce moment idéal pour jouer de la flûte, un air entraînant, des notes jetées sur la portée de la nuit, lui frayant un chemin à travers les ajoncs et les pétales violacés qui rendaient l’obscurité plus sombre encore. Mais on ne voyait cela que dans les histoires et pour avoir essayé, il savait maintenant qu’on en perdait le souffle, la vue, tant l’envie de fermer les yeux était grande, et qu’à bien y réfléchir, l’avancée s’en trouvait fortement ralentie. Il gardait donc maintenant la musique pour plus tard. Pour, par exemple, quand la pêche avait été fructueuse, et qu’un instant de repos se profilait dans les premières lueurs de l’aube.

N’eut été la Lune, il se fut perdu à coup sûr, mais le fait est qu’elle illuminait la nuit du mieux qu’elle pouvait, sans excès, mais sans nuage importun. La plupart des pêcheurs venaient lors de la pleine Lune, pétris qu’ils étaient de légendes et de significations ésotériques immémoriales. D’autres encore attendaient la Lune gibbeuse, donc la seule utilité, de l’avis de Fazel, était qu’on pouvait la nommer, et qui n’avait pas plus de pouvoir qu’une autre des phases lunaires. C’est pourquoi, fuyant la masse, il ne prévoyait ses sorties qu’en fonction de ses envies propres, qui l’amenaient dehors lorsque la Lune prenait la forme du croissant, non pour être croquée, mais pour s’éparpiller dans le ciel, en miettes, en fragments, en poussières de Lune.

Les pieds de Fazel s’arrêtèrent lorsqu’il sentit qu’ils se trouvaient au bon endroit, loin des pollutions lumineuses de la ville, loin du bruit, peut-être plus prêt encore du corps céleste qu’il ne l’avait jamais été. Fazel trouvait curieux qu’on appelât « corps » une chose dont on ne voyait que la tête, mais il n’était pas là pour débattre de considérations lexicales. Il défit les liens de son baudrier, et en dégagea son arme fétiche. Il la soupesa pour en assurer sa prise et la fit tournoyer en sa main. Au fil des soirées nocturnes, il avait su s’approprier la longue tige de bois et la maniait maintenant comme personne. A vrai dire, personne d’autre que lui ne l’utilisait en ce dessein.

A l’une des extrémités du bâton, un amas de fils enchevêtrés fit place sous ses doigts à un filet, qui ne demandait qu’à sentir l’emprise de la vitesse et du vent sous sa coupe. Désireux de se mettre à l’ouvrage, Fazel ne se fit pas prier et répondant à l’invocation muette, commença de courir, tenant à deux mains la base du filet à papillon, qui maintenant se déployait, oh, sans flagornerie non, très naturellement, très simplement, s’excusant presque de l’emploi inhabituel qu’on faisait de lui, mais dont il percevait pourtant l’importance capitale.

Fazel maintenant, les yeux fichés dans les étoiles, courait de droite et de gauche, fauchant l’air de son filet, revenant sur ses pas, repartant soudain dans une autre direction, et ailleurs encore... Ses bras suivaient ses yeux et donnaient au filet davantage de liberté au gré d’incessants va-et-vient qui ôtaient tout souffle aux poumons et toute incertitude au visage, maintenant éclairé, rayonnant. Dansant dans la pénombre, Fazel arrivait à ce rare degré de bonheur que seul le pêcheur peut parvenir à appréhender.

De temps en temps, surveillant ses prises, il jetait un coup d’oeil au fond du filet. Et ce qu’il apercevait le remplissait d’allégresse et lui donnait la force de reprendre sa course, de fouler les herbes hautes, d’arpenter la nuit en quête d’un banc de poussière brillante, dans l’espoir d’une pêche miraculeuse.

***

Quand au loin se couchera la Lune, il saura qu’il est temps de cesser toute capture. Sa compagne la nuit le saluant, le ballet prendra fin, et il ne sera plus alors qu’attente de leur rencontre prochaine. Ses pas se feront plus lents, plus mesurés, à mesure que les feux follets disparaîtront de sa vue, et que les derniers grains dorés se seront écoulés et disséminés dans le noir. Jusqu’à ne plus être.

Enivré qu’il sera de lumière nocturne, il déposera à terre son filet et s’assoira dans les ajoncs foulés, pour examiner sa fructueuse moisson. Lentement, il comptera jusqu’à zéro grain de Lune. Alors, il haussera les épaules, et abandonnant le filet pour sa flûte, il entonnera un mélancolique prélude, une de ces mélodies qu’on ne comprend vraiment que les dimanches de pluie.

C’est peu de temps après qu’il sentira une présence près de lui. Mamie l’aura retrouvé, guidée à travers les landes par la complainte de l’instrument. Elle le laissera finir son morceau sans mot dire, souriant doucement, traçant de nouveaux sillons sur ses joues rougies par la marche. Puis, elle renouera son baudrier autour de ses épaules et y déposera le filet désormais inutile. Il placera sa main dans la sienne et tous deux reprendront le chemin du village, sans autre témoin que la nuit, qui elle-même fera bientôt place aux lueurs solaires.

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© Mahora



Publication : 16 décembre 2006
Dernière modification : 16 décembre 2006


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4 Commentaires :

Griveli LF 
le 17-01-2007 à 23h13
Ces mélodies qu’on ne comprend vraiment que les dimanches de pluie
un petit univers comme suspendu, à la fois hors du temps et de l'espace, pour une petite pause, à la manière de ces dimanches de pluie que j'affectionne tant...
Estellanara Ecrire à Estellanara 
le 11-01-2007 à 11h09
Dancing under the moonlight
Ben c’est joli mais chuis pas sûre d’avoir tout compris. Le style n’est pas mal mais cela manque un peu d’histoire. Je me suis néanmoins laissée prendre à la féerie du ton. C’est poétique.
oïnkari Ecrire à oïnkari 
le 10-01-2007 à 23h28
Belle envolée poètique!
La bonne taille pour un texte c'est quand il y a un début, un milieu et une fin. Donc ça n'est pas trop court, c'est juste bien comme ça.
Elemmirë Ecrire à Elemmirë 
le 18-12-2006 à 14h42
Quelques secondes de douceur...
C'est vrai que c'est court, mais ça se suffit, à mon goût. C'est complet, merveilleusement décrit, plein de poésie, c'est un très joli moment. Merci Mahora!


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