25 février (temps H), en dimension H(1)
Le soir tombait sur le quartier de la Renarde, au nord de la ville. Un vent glacial s’était levé, hurlant sa malédiction de mort pour les vagabonds et les sans-abri. Irma la voyante avait éteint la lanterne au dessus de sa porte. Cindy, à en juger par les grincements du sommier, avait encore un client. Il avait réussi à trouver quelques cagettes et quelques cartons à brûler devant une supérette à l’autre bout de Speedyville ; de plus en plus souvent, il se faisait chasser par les employés, tels des chiens dressés à défendre les biens du maître qui les maltraite. Des cagettes ! Parfois il essayait de discuter, mais ça ne servait à rien. Est-ce qu’ils se sentaient plus riches en méprisant sa misère ? Est-ce qu’ils se sentaient moins exploités en manifestant leur pauvre pouvoir ?
Il croisa Petit Paul, un garçon de son âge, son sac à dos sur l’épaule, qui partait dealer comme tous les soirs du côté du square Montjoie. Il serra plus fort son chargement contre sa poitrine. L’an prochain quand son frère entrerait au collège, il n’aurait plus d’autre choix que de faire comme lui, sauf s’il préférait se prostituer... Il déglutit avec peine une salive amère. Le petit ferait des études, il se l’était juré.
Sonia, la fille du voisin, soufflait sur les braises du poêle à bois.
« Qu’esse tu fais là ? »
Elle leva vers lui des yeux trop grands pour son mince visage barbouillé de rimmel mouillé. Il vit tout de suite les traces de ceinture sur les jambes nues.
« Ton vieux t’a jetée ?
- J’ai pas rapporté assez... Mais les gars, ils préfèrent Cindy parce qu’elle a plus de... »
Elle éclata en sanglots. Il s’agenouilla près d’elle, la prit dans ses bras où elle se nicha en tremblant comme un chaton apeuré.
« Cindy a vingt ans, et toi seulement quatorze. Quand tu seras grande, tu seras belle comme le jour. Et puis merde, ton vieux est un salaud ! A ton âge... Bon, allez, on va manger un peu, et puis tu dormiras dans mon lit. DS y rentrera pas, de toute façon. Et DN, il est où ?
- Dans son lit. Il dormait quand je suis arrivée, je l’ai pas réveillé. »
L’adolescent se pencha sur le matelas à même le sol où une tête brune émergeait à peine de la couverture déchirée. Il secoua le garçonnet gentiment, puis lui toucha le front.
« Merde, il a encore de la fièvre ! Ca avait l’air d’aller mieux, ce matin... Viens manger, frérot, j’ai ramené un peu de bois. »
Il fit chauffer le dernier pack de soupe et remplit deux bols à ras bord.
« Et toi, DH ?
- J’ai déjà mangé. Prends le pain, sur l’étagère. »
Quand Sonia et DN furent couchés, DH s’installa à la table, le dos au poêle, avec son grand classeur noir et une pile de journaux, tous récupérés dans les poubelles municipales. Son visage s’éclaira enfin, son oeil étincela d’excitation curieuse tandis qu’il lisait, découpait et collait les articles de son choix dans son classeur. Etrangement, son estomac vide cessa de le tourmenter.
« Avec tout ça, j’ai huit jours de retard... Alors... D’abord celui-ci, du 17... »
Il colla l’article sur une feuille froissée découpée dans du papier d’emballage, puis écrivit au dessous :
Speedynews du 17 février, rubrique faits divers. Entrefilet page 8.
Une rixe a eu lieu hier soir à la frontière Nord-Sud, pour des raisons indéterminées. Il semble cependant que l’excès de bière ait échauffé les esprits dans la taverne « La Chope Bleue », située sur le versant sud des Evermounts. Un de nos compatriotes de la CRS(2) a été tué. Plusieurs suspects, tous ressortissants de l’ UNN(3), seraient actuellement interrogés au poste-frontière.
« Ensuite ces deux-là »
Nord Express du 21 février, une colonne, page 3
La tension monte à la frontière avec la CRS ; plusieurs de nos concitoyens sont retenus dans les geôles sudistes après ce qui ressemble fort à une arrestation arbitraire. Notre Ministre des Affaires Etrangères, Morgany Valda, s’est rendu à Speedyville pour y rencontrer son homologue sudiste. A l’heure où nous mettons sous presse, il n’aurait pas encore été reçu.
Une du Mondial Sud, du 25 février
LA GUERRE ?
Après les propos insultants tenus par le Ministre des Affaires Etrangères de l’UNN, les relations diplomatiques ont été rompues avec ce pays. Notre porte-avion le SuperSud a quitté ce matin le port de Breef. Des mouvements de troupes nordistes ont été remarqués à la frontière, entre Salmaya et Trebor. Le président Nelson, qui s’est longuement entretenu hier avec le Conseiller Leymann de retour des Evermounts, doit prononcer demain soir une allocution télévisée. D’après plusieurs sources secrètes de son entourage, il apparaît légitime de redouter...
« Ah zut, il manque la fin ! Encore un coup des souris, ça ! Il va falloir que je remette des pièges... et puis j’en ai oublié un, il faut que je l’intercale, il est du 22. »
Tribune libre du Speedy News, le 22 février, page 2.
Qui manipule qui ?
On peut s’étonner du vent de folie qui souffle actuellement sur nos hommes politiques, et également sur nos voisins du Nord. Quoi ! Pour une rixe entre pochards, parce qu’elle a eu lieu sur la frontière, il nous faudrait payer le lourd tribut d’une guerre mondiale ? Pour différents de nous que soient les Nordistes, je ne vois pas ce qu’ils auraient à gagner d’un conflit planétaire : leur économie est prospère, autant que la nôtre, notre coopération en recherche spatiale est profitable pour les deux nations, et depuis cinquante ans le programme de désarmement nucléaire se poursuit sans encombre, permettant des économies substantielles pour les deux parties. Alors chers amis lecteurs je vous pose la question : à qui profiterait une guerre ?
« Et après, le dernier, du 24, suite logique... »
Speedy News du 24 février, entrefilet page 10.
Le corps de notre collaborateur, le célèbre Robert Wyatt qui animait si brillamment la « Tribune Libre », a été retrouvé sans vie dans le parking de son immeuble, près de sa voiture. La police pense qu’il s’agit d’un crime de rôdeur. Nous adressons nos sincères condoléances à sa veuve et à ses enfants.
Il se tourna pour réchauffer ses mains près des braises.
« C’est dingue », pensa-t-il, «ils se font tous manipuler et personne n’y voit rien ! Le mec qui réfléchit un peu, poum, refroidi... et pas un qui réagisse ! C’est dingue ! Mais qui peut bien tirer les ficelles ? Un maniaque, un terroriste, un fou furieux ? C’est diabolique !
14 février (temps H), en dimension R.
Devant son écran interdimensionnel, le grand R pianotait pour se distraire. Il ne se passait rien chez les V, rien non plus chez les H. Son oeil s’attarda sur un zoom de Speedyville. Une femme aidait un aveugle à traverser. Il toussa. Un adolescent portait les paquets d’une vieille femme. Il re-toussa. A la terrasse d’un café, un homme disait à une femme « je t’aime ». Il grimaça. Il monta un peu le son et tout à coup ce fut comme une avalanche insupportable.
« Mon chéri...
- Mon amour...
- Puis-je vous aider ?
- Vous êtes bien aimable...
- Je suis si fière de toi...
- A votre service !
- Vous êtes bien honnête...
- Je t’aime !
- Je t’aime !
- Je t’aime ! »
« Assez ! » Il éteignit l’écran, écumant de rage, écrasé de dégoût, submergé par une salve de haut-le-coeur qu’il maîtrisa à peine. Sans réfléchir il murmura :
« Quelle horreur ! Quelle honte ! Ah tiens, il leur faudrait une bonne guerre... »
Une bouffée de joie satanique l’envahit. Avec un émerveillement ému aussi intense que le jour de son premier crime, il répéta à voix haute :
« Une bonne guerre ! Quelle idée délicieuse... »
25 février (temps H), en dimension V.
« Bonjour... Je voudrais un passeport pour la dimension H »
L’employée leva à peine les yeux de son magazine et marmonna :
« Vous avez un Ordre de Mission ?
- Non... C’est personnel... »
Elle tourna une page.
« La circulaire est affichée à l’entrée.
- Je vous demande pardon ? »
L’employée poussa un soupir agacé.
« Plus de passeports sauf mission contresignée par les Autorités. Faudrait vous tenir un peu au courant. Voyez la circulaire. »
La jeune femme aux habits verts ressortit du bâtiment. Sur la porte vitrée était collée une affichette.
« Circulaire n° 3436 OH. En raison des évènements tous les échanges avec la dimension H sont suspendus jusqu’à nouvel ordre. Aucun voyageur n’est autorisé à franchir une Porte sans Mandat Spécial émanant du Grand Conseil Violet. »
L ‘employée regarda à travers la vitre le visage de la jeune femme exprimer une grande déception. Un sourire narquois se dessina sur ses lèvres, et son oeil s’alluma d’une lueur triomphale – ainsi l’exercice du pouvoir comble le coeur de l’être vide, et plus le pouvoir est restreint, plus la jouissance est grande à l’exercer.
Depuis la veille, Mélamine Courtepointe redoutait l’heure du coucher. Iriador son mari donnait une conférence au fin fond des Territoires de l’Est, et la nuit précédente, un cauchemar terrifiant l’avait laissée pantelante pendant plusieurs heures. Elle essaya de lire un peu, mais le coeur n’y était pas. Elle jeta un coup d’oeil dans le miroir de l’ émeraude(4), Iriador était en train de parler devant une assemblée attentive – il aurait été malvenu de le déranger pour si peu.
Elle s’installa devant le feu de bois perpétuel, roulée en boule sur le canapé au milieu des coussins, le journal de Ciboulette(5) contre sa poitrine. Peut-être sa vieille amie pourrait-elle l’aider en rêve. Lagune, Sapin et Coriandre, membres de sa grande tribu de chats verts, vinrent se blottir contre elle. Lagune se nicha contre son ventre.
« Tu es énorme, ma chérie ! Tu vas nous faire encore une belle portée de chatons, n’est-ce pas ? »
La chatte ronronna fièrement en se frottant contre la main posée sur sa tête. Une larme perla au coin d’une paupière, que Mélamine n’essuya pas.
Les phrases acides d’ Alyane(6) tintaient encore à ses oreilles.
« Remarque, j’ai déjà bien assez de petits-enfants... ou au pire tu pourrais adopter un petit sauvage... »
Et pour faire bonne mesure, le murmure pernicieux de sa soeur Deliria, croulant sous le poids de sa troisième grossesse :
« A son âge, maman, elle a bien le droit de préférer le calme... C’est injuste, avec son physique on ne verrait pas la différence, tandis que moi... »
Mélamine caressa le ventre rebondi où grouillaient des petites boules remuantes.
« Tu en as de la chance... »
Le lac aux Trois Cornes était noyé dans le brouillard. Le ciel lourd n’éclairait les sapins que d’une lueur blafarde. Tout était désert. La maison de pierre au joli balcon de bois n’était plus qu’un tas de ruines fumantes. Dans le jardin saccagé, Mélamine avançait, trébuchant sur les mottes de terre boueuse, au milieu de débris de meubles, de livres brûlés, de vaisselle cassée. Elle essayait d’appeler mais sa voix restait muette. Elle avait froid, elle était seule, elle avait peur... Et cette voix, venue de nulle part et qui résonnait dans sa tête...
« C’est ta faute ! Tu as négligé le dix-huitième Arcane qui était ton seul recours ! Ainsi périra ta lignée et celle de Kersigatt, par ta faute condamnées au néant pour l’éternité... Tu n’as pas observé le dix-huitième Arcane ! »
Son propre cri la réveilla. Encore le même rêve ! Le coussin sous sa tête était trempé de larmes, elle claquait des dents devant le feu toujours flamboyant, et les chats la regardaient, figés, une ligne de poils hérissés sur l’échine.
Elle se força à se lever et à se préparer une tisane, sans avoir recours à la magie. Un peu apaisée par la chaleur parfumée de la camomille, elle feuilleta le journal de Ciboulette et le laissa s’ouvrir seul, à la même page que la veille.
«Cela m’a fait plaisir de revoir ma grande amie Asphodèle Brindargent pendant mon petit voyage en dimension H. Elle a choisi de rester là, pour aider les pauvres gens. Elle vit au milieu d’eux, dans des conditions épouvantables : ce n’est même pas une banlieue, c’est un bidonville ! J’ai toujours admiré son grand talent de voyance ; les Arcanes des Tarots n’ont pas de secret pour elle, et si quelque chose peut être Vu, elle le Voit !»
« Les Arcanes... », murmura Mélamine. « Je ne sais pas ce que sont ces évènements, mais circulaire ou pas, j’ai un petit voyage à faire. »
26 février (temps H)
Mélamine n’était pas foncièrement rebelle. Elle était toujours prête à respecter la loi, si la loi lui paraissait utile. Dans le cas contraire, c’est sans aucune mauvaise conscience qu’elle faisait ce qui lui semblait bon.
Après quelques heures d’attente infructueuse, elle réussit, sous la forme d’une puce innocente mais accrocheuse, à se faire transférer via la porte B par le sieur Estival Boisdechêne, des Relations Extérieures.
En dimension H, elle choisit l’invisibilité et la téléportation comme moyens les plus sûrs. Ce n’est qu’aux abords du quartier de la Renarde qu’elle reprit l’apparence d’une jeune femme habillée de vert sombre et drapée dans un châle noir.
Elle marchait vite, souhaitant éviter les rencontres, mais à chaque pas son coeur se serrait un peu plus, devant cet amalgame de taudis bringuebalants et insalubres, devant lesquels des enfants en guenilles jouaient à pourchasser les rats ; quelques filles beaucoup trop jeunes pour être consentantes racolaient maladroitement et sans enthousiasme ; de grosses femmes agitant leurs bracelets promettaient prédictions authentiques, retours d’affection et philtres d’amour. Et dans tous ces yeux aux paupières trop lourdes et aux cernes trop sombres, le même regard vide de qui n’attend rien du lendemain.
« Pt’êt que la mère Brindargent pourra m’aider », s’était dit DH en constatant que son frère avait toujours de la fièvre et semblait s’affaiblir de plus en plus. Aussi se dirigeait-il vers la dernière baraque du campement, sûrement une des plus pauvres, et sûrement aussi celle où l’accueil était le meilleur. Mais il s’arrêta devant la porte. A travers les planches désunies une voix répondait à celle de la vieille femme. N‘osant déranger, et intrigué par cette voix inquiète et pourtant si mélodieuse, il resta là.
« Tu sais, ma fille, six mois de mariage ça n’est pas beaucoup, c’est peut-être le hasard... Mais ces rêves...Comment disait cette voix ?
- Tu as négligé le dix-huitième Arcane...
- Oui, oui, l’Arcane dix-huit... C’est la Lune, symbole d’imagination et de fertilité... des forces instinctives, aussi... Voyons voir... »
Elle étala le jeu de cartes qui était près d’elle, et en sortit quatre. Son regard était toujours fixé sur le poêle.
« Oh pardon, Maîtresse Brindargent, je ne savais pas... »
La vieille femme vêtue de noir, aux longs cheveux blancs retenus par un chignon impeccable et aux yeux irrémédiablement fixes lui sourit.
« Allons, Mélamine, seuls les Humains pensent qu’il faut des yeux pour voir... »
Tiens, justement, voilà la Lune...Et à côté d’elle, l’Arcane 15, le Diable, et il est renversé... C’est bien cela, n’est-ce pas ? Je ne me trompe pas ? Puis nous avons le Bateleur, l’intelligence créatrice, la jeunesse, le Nord... et la Papesse, l’harmonisation par la nature, c’est bien, c’est bien... La Lune est toujours instable, le Bateleur et la Papesse sont plutôt neutres... Ce jeu manque de force... C’est étrange, on dirait que l’Arcane 18 est à la fois le problème et la solution...Si je pouvais en savoir plus sur ce Diable... »
Elle posa la main gauche sur la carte. Son corps voûté se redressa, et sa voix devint profonde et rauque.
« Des forces... des forces obscures... elles cherchent à t’entraîner... La Lune... Ah, elles ne veulent pas que je les voie... Je ne peux pas... Il y a trop de poussière... »
Dans un cri, elle s’effondra sur la table.
D’un bond, DH fut auprès d’elle, la prenant dans ses bras, lui tapotant les joues, l’appelant anxieusement « Madame... Madame... »
La transe passée, elle revint lentement à elle. Mélamine s’affairait sur le poêle et revint avec trois tasses d’un thé dont le parfum fit sourire la vieille femme.
« Ca fait bien longtemps que je n’en ai pas bu... Il vient de chez toi, n’est-ce pas ? »
Après quelques gorgées, elle demanda d’un air malicieux :
« Alors, mon jeune ami, on écoute aux portes ? »
26 février (temps H) en dimension R.
Le Général Sangdecrise avait réuni dans son quartier général la fine fleur de ses espions pour une dernière mise au point. Tout ce que la dimension R comptait comme esprits supérieurs retors, pervers et machiavéliques était assis là, en tout une douzaine de robes rouges fermées par une ceinture noire. Au centre, l’incarnation rousse aux grands yeux verts attirait tous les regards. Il avait un visage jeune, souriant, d’une beauté angélique. Sous la robe rouge enfilée à la va-vite on devinait un vêtement turquoise.
« Eh bien, Judaël, mon petit ? »
Sangdecrise s’adressait à lui avec une tendresse déférente, ce qui remplissait chaque fois l’assistance d’autant d’effarement que de haine jalouse, son ton habituel étant plus proche du hurlement mordeur que du roucoulement enjôleur. Mais avant que la voix cristalline n’ait pu une fois de plus déclencher des frissons d’horreur à la ronde, le lieutenant Lubrik Torniole entra en trombe en criant :
« Mon Général ! Mon Général ! Mélamine Courtepointe a réussi à passer en dimension H ! J’ai bloqué la mère Brindargent in extremis ! Mais quelqu’un a réussi à faire passer le mot « poussière ! »
Sangdecrise fronça les sourcils. Sa troupe, habituée à lui depuis une éternité, resta ébahie devant l’apparence de calme qu’il garda, mais chacun rentra la tête dans les épaules dans l’attente de l’explosion.
« Tu étais chargé d’éviter toute intrusion des V, je crois, Judaël ? »
Le séduisant démon prit son temps pour répondre, adressant d’abord au masque courroucé du Général un sourire aussi radieux que candide.
« Mais bien sûr, mon Général... Et c’est ce que j’ai fait... à l’exception de Mélamine Courtepointe...Voyez-vous, mon Général, votre chère ennemie traverse une mauvaise passe. Son mari est en déplacement, sa famille est odieuse, elle est devenue insomniaque et dépressive... grâce aussi aux cauchemars que j’ai concoctés pour elle... Je l’ai laissée passer en dimension H pour deux raisons : la première c’est qu’elle sera beaucoup plus facile à surveiller ; et la deuxième c’est que, si par hasard... par le plus grand des hasards... il devait lui arriver quelque chose – eh oui, ces gens qui sont au mauvais endroit au mauvais moment... -, personne, dans aucune dimension, ne pourrait vous accuser d’agression injustifiée envers les V... Vous n’êtes pas las de tout le bien qu’elle arrive à faire, chez les V comme chez les H ? C’est tout simplement écoeurant...Non ?
- Magnifiquement diabolique ! Prenez-en de la graine, vous autres ! Depuis le temps que je rêve d’accrocher cette mijaurée à mon tableau de chasse ! Mais tu es sûr qu’elle ne va pas s’en sortir encore une fois ?
- Par toutes les flammes du Monde Rouge, mon Général, j’en suis aussi sûr que de ma propre traîtrise !
- Bien, bien... Les autres, des questions, non bien sûr, rompez, bande de larves ! »
Pendant que les démons se retiraient en silence, le Général se voyait déjà décoré de l’Ordre Suprême du Mal...
« Le Grand R est un génie ! Je ne sais pas comment il a fait pour recruter celui-là, mais nom d’un cyclone ! Quel coup de maître ! Moi aussi, un jour, j’aurai autant de pouvoir que lui... »
« Alors, mon petit DH, tout va bien chez toi ?
- Ben justement, madame Brindargent, je venais vous voir parce que... Mon petit frère a de la fièvre, il dort tout le temps, et... vous comprenez, quoi...
- Toujours pas de nouvelle de DS ?
- Non...
- Mélamine, pourrais-tu aller voir ce petit pendant que je cherche dans les grimoires ce que j’ai sur le rapport entre la Lune et la poussière ?
- Vous voulez parler de régolite ? J’ai découpé un article là-dessus...
- Régolite ?
- Oui madame... euh...
- Mélamine.
- Oui... Le régolite est une fine poussière résultant de la décomposition des roches de surface sous l’effet du bombardement incessant de micrométéorites... On en trouve sur la lune et sur Mars...
- Allons-y, jeune homme. Tu me montreras cet article, et moi je verrai ce que je peux faire pour ton frère. »
Au fond d’une masure humide et sombre, sur un matelas posé à même le sol, Mélamine découvrit un petit garçon malingre brûlant de fièvre, enroulé dans une couverture déchirée.
DH approcha une lampe à pétrole du visage de l’enfant. Il était écarlate, les yeux larmoyants, il respirait avec difficulté et semblait avoir à peine encore la force de tousser.
Mélamine s’assit près de lui, souleva le pull usé jusqu’à la trame sous lequel la maigre poitrine était couverte d’une éruption intense au toucher de velours. Elle caressa le front trempé de sueur.
« Tu as la rougeole, mon grand. DH, peux-tu me trouver un bol d’eau chaude pour faire une tisane ? Comment tu t’appelles?
- DN », murmura la petite voix fatiguée
- « Ah... Joli nom... »
Profitant du fait que le grand frère avait le dos tourné, elle passa ses mains sur la tête, les yeux, le torse, le ventre, rappelant l’énergie vitale qui se tarissait lentement, redonnant force au coeur, asséchant les bronches encombrées, stimulant les globules blancs qui somnolaient le long des parois vasculaires, atténuant au passage l’ardeur de tous les virus qu’elle sentait passer, les chassant de leurs cachettes cellulaires où ils se multipliaient en triomphe.
Quelques plantes toniques et fébrifuges, et le tour serait joué. Pendant que l’enfant buvait lentement son remède, DH sortit son grand classeur noir.
« Voilà, c’est là, le régolite... »
Speedy News, rubrique scientifique, page 12, daté du 17 février.
L’équipe scientifique de l’observatoire d’Everpost (Evermounts) nous communique que dans la nuit du 15 au 16 une pluie de régolite s’est abattue sur les Evermounts. Le régolite (ici d’origine lunaire, mais il en existe aussi sur Mars) est une fine poussière résultant de la décomposition des roches de surface...
« Et on connaît les effets de cette poussière ?
- Non, pas officiellement. Ils pensent que ça doit être toxique, mais ils ne savent pas pour quoi. Par contre, j’ai découpé aussi le bulletin météo, et un vent violent soufflait sur les Evermounts, ce soir-là, du côté de la frontière... Et là où c’est drôle, regardez... »
Speedy News du 17 février, rubrique faits divers, page 15, entrefilet.
De notre correspondant local dans les Evermounts : plusieurs éleveurs de moutons ont constaté que dans la nuit du 15 au 16, leurs chiens de berger avaient attaqué leurs propres troupeaux, tuant sauvagement une centaine de bêtes en tout. La police locale a été également sollicitée pour un nombre inhabituel d’agressions et de rixes, comme si un vent de folie avait soufflé sur les montagnes.
« C’est captivant ! Et après, dans le classeur, tu mets quoi ?
- Oh, tous les évènements qui me semblent intéressants. En ce moment, bien sûr, c’est la menace de guerre...
- Hein ? Euh... J’ai été pas mal occupée ces derniers jours...
- Alors vous ne savez pas ? Lisez, tout est là ... »
Mélamine se posa sur un coin de chaise et se mit à lire attentivement. Tandis que ses yeux parcouraient les lignes, quelque chose en elle se réveillait, partait en chasse, cherchait du sens. Elle connaissait bien cette sensation ; c’était au début comme un petit pincement qui donnait l’alerte ; puis tandis que les idées défilaient à toute allure, une partie d’elle prenait du recul pour y voir plus clair.
« Ce n’est pas par hasard si je me trouve ici », pensa-t-elle. « Ces rêves n’étaient qu’un prétexte, et pourtant... Ils avaient quelque chose à dire... Il me manque une pièce du puzzle, il me manque un lien... »
Tel le limier sur une piste, elle leva le nez, cherchant autour d’elle sans savoir ce qu’elle cherchait. Il y avait deux autres matelas par terre dans cette unique pièce, trois chaises autour de la table, et près du poêle une commode couverte de vieilles photos, parfois encadrées, parfois simplement collées sur du carton.
« C’est ta famille ? »
DH acquiesça.
« Et où sont vos parents ?
- Maman est morte en accouchant de DN ; papa... ne s’est plus montré depuis longtemps. Il ne reste que DS avec nous, enfin, assez souvent, parce qu’il est majeur et que sinon on aurait des ennuis... Les autres sont partis...
- C’est curieux, ces prénoms...
- Oh ! On est dix-neuf frères et soeurs ; au début les enfants ont eu des prénoms, et puis les vieux ont manqué d’imagination, alors ça a été Quinze, Seize, Dix-Sept...
- Et toi tu es Dix-Huit ?
- C’est ça ! »
Une décharge électrique secoua Mélamine lorsque enfin elle regarda le jeune homme.
« Nom d’une licorne bleue ! Je l’avais sous les yeux ! Et ton nom de famille, évidemment, c’est...
- Arcane, pourquoi ? »
Depuis longtemps la vie avait appris à DH que moins on pose de questions, mieux on s’en sort. Aussi, quand Mélamine lui demanda d’emmener DN chez Asphodèle, il prit le petit garçon dans ses bras et la suivit en silence. A leur arrivée, il surprit un échange de regards entre les deux femmes – certes, madame Brindargent était aveugle...mais cette journée était tellement étrange...et cette Mélamine, dans sa grande robe verte... Une voyante ? Une guérisseuse ? Il émanait d’elle quelque chose de... différent. Bizarre, aussi, le ton de madame Brindargent quand elle lui dit :
« Tiens, mon petit DH, si je te tirais les cartes ? Ca fait bien longtemps... Viens t’asseoir près de moi... »
Et comme par hasard c’est à ce moment là que Mélamine déclara :
« J’ai une petite course à faire... En même temps je prendrai de quoi dîner... »
Il se retourna pour lui demander si elle voulait bien ramener du lait pour le petit déjeuner de DN, mais elle avait déjà disparu. Ce n’est pas qu’elle était sortie, non. Elle avait disparu.
Sur le toit de la plus haute tour de Speedyville, une sorcière invisible drapée dans un châle noir contemplait la ville grouillante et morne, recouverte d’un voile épais de fumées polluantes. Acier, verre, béton. Saleté, indifférence, agitation. Vite, peu, mal. Ignorance, aveuglement, ambition. Violence, argent, pouvoir. Avoir, garder, tuer.
Et puis aussi des pauvres gens, ballottés, manipulés, trompés, qui iraient en chantant se faire tuer à la guerre... Et encore plus de souffrance, et encore plus de misère, après... Est-ce qu’il y aurait un après ? Et si la guerre détruisait tout, pauvres et riches, victimes et bourreaux... Et le monde V ? Est-ce qu’il serait détruit aussi ? Est-ce qu’elle devait alerter Orchidée Hautecour ?
« Le devoir de non-ingérence est la première règle de la Charte des V... »
Elle ne bougerait pas. Iriador! Corinanthe! Walkyria! Mais repasser en dimension V, revenir... Et si elle n’avait pas le temps ?
« Je n’ai encore jamais sauvé de monde », pensa-t-elle. « Mais ce n’est pas une raison pour ne pas essayer... »
Devant la porte, ses bras se chargèrent de paquets, et elle entra triomphalement.
« Je crois que je n’ai rien oublié... J’ai pris aussi du lait pour demain matin... DN, tu bois du lait, le matin, n’est-ce pas ? Ah, tiens, j’ai joué à la loterie. Maîtresse Brindargent, pouvez-vous me garder ce billet? En ce moment je perds tout, je suis tellement distraite... »
La table se couvrit de victuailles, pâté, saucisson, pain frais, beurre, fromage, jus d’orange, la blanquette de veau fut remise à mijoter sur le poêle, et le gâteau au chocolat attendit son heure sur la commode.
« Vous ne mangez rien, madame Mélamine ?
- Oh je... Je suis un peu barbouillée... Et puis j’ai sommeil... Encore un peu de blanquette, DN ? »
Le petit garçon avait le rouge aux joues, mais ce n’était plus à cause de la fièvre. Asphodèle Brindargent ne cessait de sourire à Mélamine, lui tapotait la main, lui envoyait en pensée toute sa joie.
« Ah c’est bien ce que tu fais là... Je suis contente ! Ces pauvres enfants, si tu savais... Ca me donne presque envie de me remettre à la magie. »
Après le gâteau au chocolat, DH lança un regard timide vers le demi-saucisson qui restait sur la table.
« Tu devrais t’emmener un casse-croûte », lui sourit Mélamine, « car je vais avoir besoin de toi.
- Pour quoi faire ?
- Je ne sais pas bien encore, mais la lune se lève, il est temps d’y aller.
- A cette heure-ci ?
- S’il te plaît. »
Dans la ruelle, elle lui prit la main.
« Ce qui va t’arriver maintenant te semblera incroyable, mais c’est une réalité...une autre réalité que celle que tu connais. Je te demande simplement de n’en rien dire à personne. J’ai ta parole ?
- OK, c’est bon, mais... »
Il n’eut pas le temps de finir sa phrase. La téléportation lui fit l’effet d’un tourbillon incontrôlable. Il ne cria pas, serra un peu plus fort la main de Mélamine.
« Ah ben mince alors ! Où on est ? Qu’est-ce qu’il fait froid ici !
- Tiens, prends mon châle.
- C’est de la magie, non ? Et votre châle, il est tout fin, et presque je transpire déjà... Vous êtes qui ?
- Mélamine Courtepointe, mon garçon. Je viens... d’une autre dimension.
- Mais vous n’êtes pas une extra-terrestre ? Non, hein, c’est encore autre chose...Ben nom d’un... Alors ça existe, la magie, les sorcières, le diable et tout le reste ?
- Et tout le reste, oui ! Bon, maintenant tais-toi, nous avons du travail. »
Ils avaient atterri sur le plus haut plateau des Evermounts, au pied du Pyr, vieux volcan endormi depuis des siècles. Un vent froid balayait la neige. La lune se levait, disque rouge entouré d’un halo brumeux. Mélamine fit de la lumière au bout de ses doigts. Alors ils virent la poussière qui tombait lentement de l’astre lunaire, le long de ses rayons, poussière rougeâtre qui virevoltait dans le vent.
« Mets le châle devant ton nez, sinon bientôt tu vas me frapper et je doute que ça me plaise, » suggéra Mélamine. «Il faut que je trouve le moyen d’inactiver cette poussière. »
C’est alors que dans une explosion rouge apparut le Général Sangdecrise flanqué de deux acolytes.
« Arrière ! » cria-t-il, «le Destin est en marche, et le vôtre se termine ici !
- Qui le décrète ?
- Allons, femme, pour puissante que tu sois, reconnais ta défaite, nous sommes trois !
- Peut-être pas... », murmura un des démons.
A la surprise générale, il ôta sa robe rouge, découvrant la robe turquoise, et vint se placer aux côtés de Mélamine.
« Judaël ! Qu’est-ce que ça veut dire ?
- Mon nom est Phanigann, Général, Valdenaire Phanigann, et je ne laisserai personne menacer ma soeur !
- Pauvre fou ! Tu ne la protègera pas plus que tu n’as sauvé ton père ! Même si je la laisse partir, aucune puissance ne peut arrêter la poussière de lune ! Ce monde sera détruit quoi que tu fasses ! »
Valdenaire chuchota :
« Malheureusement, je crains qu’il n’ait raison...
- Il y a bien la Puissance Profonde...
- Tu n’y penses pas ! Le seul qui ait essayé...
- ...y laissa la vie, je sais, mais Rigoton Calenave a pratiqué seul, ce qui est absurde. Il faut trois Esprits et un Innocent. DH est innocent de toute magie, mais nous ne sommes que deux...
- Hem hem... je crois que c’est le moment où j’interviens... »
Une petite voix claire s’était glissée dans leurs deux pensées. Eberluée, Mélamine prononça tout haut :
« Emeraude ?
- Eh oui, maman ! Je crois que j’ai réussi mon entrée ... Oh je ne devrais pas encore être là, en réalité, mon corps de deux semaines n’est qu’un amas de cellules informe... Mais j’ai eu une dérogation pour m’y installer... Sympa, non ? »
Mélamine sentit une puissance gigantesque et vibrante l’envahir, quand les esprits d’Emeraude et de Valdenaire s’unirent au sien. Sous les yeux médusés des Rouges, elle s’agenouilla, posa ses mains devant elle bien à plat sur le sol. La neige fondit à son contact, comme si la terre s’apprêtait à l’écouter. Valdenaire prit la main de DH, et posa l’autre sur la tête de Mélamine. Le regard implorant posé sur la terre, celle-ci déclama :
« O Puissance Profonde de la Terre, Sagesse Infinie du Chaos, Toi qui es l’Incontournable Mère, réponds à l’appel de Tes créatures ! Nous sommes trois Esprits, pour l’Eau, l’Air et le Feu, et avec nous est un Innocent pour représenter Ta Vertu Suprême, l’absence de désir du Pouvoir, qui est l’apanage de la Pure Puissance, de la Puissance Extrême et Absolue ! Fais que ce qui doit être soit, et que ce qui ne doit pas être ne soit pas... »
Un tourbillon rouge souleva la neige en gerbes violentes. L’apparition, passant devant les deux démons, marcha sur Mélamine.
« Vous ne viendrez pas ici vous opposer à mes projets !
- Ici et ailleurs, si le Destin le permet... »
L’immense Etre Rouge partit d’un rire tonitruant.
« Petites larves que vous êtes ! Votre naïveté est touchante ! Mais je suis le Grand Rouge, par ma barbiche ! Mais je suis Tout ! Mais je peux Tout ! »
Ce à quoi DH, qui avait lu ses classiques, ne put s’empêcher de répondre, dans le sourire narquois de sa jeune inconscience :
« Mais je m’en fiche ! »
Le Grand R levait déjà une main enflammée de toute sa colère, quand une secousse tellurique rugissante le cloua sur place.
De la surface de la terre s’éleva une nuée de papillons blancs, aussi dense que le brouillard le plus épais, et chaque papillon gobait un grain de poussière, de la poussière tombée, de la poussière volante ; puis telle une armée en ordre de marche, ils formèrent une longue colonne qui se dirigea vers la gueule du Pyr et s’y engouffra. Le volcan gronda longuement, et dans un fracas de fin du monde cracha un gigantesque déluge d’étincelles bleues qui se perdirent dans la nuit.
La Terre avait répondu.
Le Grand R frappa du pied et disparut, suivi des deux autres.
Mélamine s’assit sur un rocher, les deux mains sur son ventre.
« Elle va bien ? » s’enquit DH.
Mélamine acquiesça en silence.
A la une du Speedynews du 27 février :
LA PAIX EST SAUVEE !
Dans son allocution télévisée d’hier soir, le Président Nelson , visiblement troublé, a relaté sa conversation téléphonique avec son homologue nordiste, le Président Trianoff. Si on ignore lequel des deux a appelé l’autre, il est sûr néanmoins que les deux dirigeants sont tombés d’accord pour préserver la paix à tout prix. De nouveaux accords de désarmement vont être signés prochainement, et une mission spatiale commune devrait être mise en place, afin d’établir une base lunaire, tremplin pour des expéditions plus lointaines.
Mondial Sud du 27 février, entrefilet page 3.
Le Conseiller Leymann a remis ce matin sa démission au Président Nelson, qui l’a acceptée. Le bruit court que Leymann était un farouche partisan de la guerre, et que c’est le Président qui, après sa conversation pacifique avec le Président Trianoff, l’aurait immédiatement remercié.
Speedynews du 27 février, entrefilet page 12.
Le Super Gros Lot de la Loterie du 25 février a été remporté par un habitant de Speedyville qui a souhaité garder l’anonymat. C’est la plus grosse somme remportée par une seule personne depuis la création de la Loterie, il y a cent cinquante ans. Gageons que l’heureux gagnant saura bien utiliser cette petite fortune !
Mondial Sud du 15 avril, entrefilet page 7.
La Société Immobilière Régolite a racheté à la ville les terrains vagues du quartier de la Renarde, transformé en un honteux bidonville par une bande de vagabonds tous plus ou moins délinquants. Cette zone de non-droit qui défigurait Speedyville sera rasée prochainement et remplacée par un lotissement résidentiel. Etrangement, l’avocat d’affaires chargé des transactions, maître Roger Weisman, a déclaré ne pas pouvoir révéler le nom de son mandataire. On peut s’étonner aussi qu’aucune publicité ne soit faite quant à l’achat de ces futures résidences, et qu’à notre question à ce propos le juriste ait répondu que tout était déjà réservé. Encore une affaire juteuse réservée à une certaine élite, et pendant ce temps-là les bonnes gens de Speedyville continuent à payer leur loyer trop cher !
Reportages Sud (magazine mensuel), éditorial, par le rédacteur en chef, Emerson Carr, en date du 5 avril.
Quand ma secrétaire m’a apporté une grosse enveloppe blanche contenant une proposition d’article signé par un inconnu, je lui ai reproché de vouloir me faire perdre mon temps. Notre magazine, fier de la qualité de ses reportages exclusifs, ne publie que des journalistes dont le professionnalisme n’est plus à démontrer. Mais devant son insistance j’ai parcouru ces lignes écrites d’un style vif et percutant, j’ai regardé attentivement ces photos prises sans concession mais sans parti pris de misérabilisme. Aussi ai-je la joie de vous faire partager mon étonnement, mon admiration et mon émotion devant ce reportage exceptionnel. Je n’ai jamais visité pour ma part le quartier de la Renarde. Je n’aurais pas pu imaginer qu’aux portes de notre belle ville des êtres humains pouvaient vivre dans de telles conditions. Le quartier va être rasé, et c’est tant mieux. Mais le témoignage simple et sincère de ses habitants doit rester dans nos mémoires : la plus extrême détresse se cache parfois tout près de nous, et il est de notre devoir de citoyen de faire en sorte que plus jamais de telles images ne puissent exister.
Quant à l’auteur, retenez bien son nom : il s’appelle Arcane, et je prends le pari qu’il ne restera pas inconnu longtemps.
27 février (temps H), en dimension V.
Quand Iriador Kersigatt rentra chez lui, au terme d’une longue série de conférences dans les territoires de l’Est, il trouva sa femme en joyeuse conversation avec un inconnu confortablement installé dans le canapé. Il ne put réprimer un pincement de coeur. Mélamine semblait bien émoustillée devant ce jeune individu d’une beauté divine, vêtu d’une robe turquoise qui jurait avec ses cheveux roux.
Nullement gênée, elle lui sauta au cou, et tandis qu’il regardait d’un air sombre la table mise pour un repas de fête, elle lui présenta l’intrus.
« C’est Val ! Valdenaire, le fils de Phanigann ! Mon demi-frère, quoi ! »
Iriador fronça le sourcil.
« Ah... c’est vous qui... avez combattu aux côtés de votre père dans cette sinistre embuscade qui vous coûta la vie à tous les deux...
- Eh bien ! Je ne savais pas que ça passerait à l’histoire !
- Oh, j’étais un étudiant très appliqué...
- J’ai invité Walky et Jaymmes, ça ne t’embête pas ? Et Corinanthe... Et j’attends aussi une amie, qui travaille en dimension H... Si elle arrive à se dégager de ses nouvelles responsabilités... Et peut-être que mon père viendra aussi...
- Et on fête quoi ?
- Beaucoup de choses... », murmura-t-elle d’un air mystérieux. «Et la plus belle, c’est...
- C’est moi ! », cria une petite voix surexcitée directement dans leur tête à tous les trois.
Iriador sursauta.
« C’est moi ! C’est moi, Emeraude, papa, et bientôt je serai de ce monde ! Maman va tout te raconter, nous avons eu des aventures extraordinaires, et tonton Val m’a dit qu’il était un espion du monde T et que ça l’amusait bien parce que de son vivant il adorait jouer la comédie et il voulait en faire son métier mais grand-père Aztarek... »
Iriador sourit à Mélamine.
« Est-ce que dans tes grimoires il est écrit comment faire taire les bavardes télépathes ? »
Aredhel | Pleine Lune | ||
Elemmirë | Pousse de Lune | ||
Maedhros | Hybris | ||
Narwa Roquen | Le dix-huitième Arcane | ||
Le pont |
Aredhel | Larmes de Lune | ||
Maedhros | Le traineau de lune | ||
Régolithe | |||
Mahora | Prélude nocturne | ||
Netra | Le Papillon et l'Araignée | ||
härlindon | Le rouge des rêves | ||
Ode à Moi-même |
le 28-02-2007 à 18h27 | Réponse à Estellanara | |
Si le bébé ne parle pas bébé, c'est qu'il y a une bonne raison ... que tu apprendras dans le prochain épisode! Je retiens ton idée de "dans les épisodes précédents"; spontanément j'aurais trouvé ça un peu prétentieux, mais puisque tu m'y invites... | ||
le 28-02-2007 à 09h56 | Le violet, c’est ma couleur préférée ! | |
C’est frais, réjouissant et ça fourmille d’idées, comme d’habitude. Euh… vu le nombre de notions et de noms propres qu’il commence à y avoir dans cette saga, serait-il possible, à l’usage des distraits amnésiques tels que moi, de commencer les histoires par un court « dans les épisodes précédents… » ? Tu y reprendrais les principales dimensions et personnages, à l’usage des courtes mémoires ou de... | ||
le 06-01-2007 à 23h27 | Le talent c'est émouvant! | |
Depuis le temps que je hante les sites dédiés à la SF et à la Fantasy je désespérais de trouver un vrai talent original. Ma quête est terminée. Je viens de dévorer tous les textes de Narwa Roquen et franchement la vie est belle! A quand une parution papier? | ||
le 17-12-2006 à 22h12 | Toujours aussi bien... :D | |
Trop chouette, comme d'hab! :p Il y a toujours ce mélange de mystère à résoudre, d'humour, de références, d'émotion et de happy end, tout ce qu'on aime! Encore!!!! Elemm', ravie :) |