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Rencontres

La pleine lune a toujours été perçue chez les hommes comme un objet de fascination... Quand la fille de la soleil nous apparaît dans sa plénitude, dans son plus bel habit, sa beauté est telle qu 'elle provoque en nous un étrange sentiment d'admiration mêlé à une certaine peur venue de nulle part... Quand la lune se joue de la mer et fait hurler les loups, les hommes fabriquent alors des légendes inquiétantes, rendant hommage au mystère et à la puissance de la belle.

On est réellement fasciné que par ce qui nous échappe un peu, ce qui nous surprend, ce qui nous fait peur... la beauté de la lune nous échappe, quand elle atteint le cercle parfait un étrange sentiment nous envahit devant cette démonstration de la perfection et de la plénitude de la nature... de l'ampleur de cette beauté.

On ne sait jamais ce qu'une nuit de pleine lune nous réserve. On se sent d'une humeur étrange, comme si la prise d'une drogue nous avait laissée dans les limbes, entre rêve et éveil. On lève les yeux vers le ciel...et nos yeux refusent de trop s'imprégner de cette lumière magique que la belle dame nous renvoie. Alors on regarde, admiratif, la pleine lune, mais à plusieurs reprises, jamais trop longtemps, comme par peur de se laisser hypnotiser par une telle beauté.

L'été touchait à sa fin, et les feuilles des arbres, bercées par les premières brises, chantaient la venue des premières pluies. Dans la forêt de Pimpon, les violets des plantes et du schiste annonçaient les couleurs de l'automne.

Revendiquant mon droit à vivre en harmonie avec les arbres, loin de toute civilisation, je m'étais construit une cabane rudimentaire dans une petite clairière, et étais installée dans cette forêt depuis deux ou trois semaines... Parfois j'avais quelques invités-surprise égarés, il faut dire que le coin, en été, est assez touristique puisqu'à quatre kilomètres se trouve la soi-disant "tombe" de Merlin l'enchanteur. Mais cela me faisait très plaisir de voir du monde, car la solitude était très difficile à oublier.

Je vivais donc au rythme du soleil, la tête pleine de rêves et d'histoires fabuleuses dont Merlin et moi étions les héros. Je ne me rappelle avoir été plus proche de la nature... Je passais des heures à regarder vivre les insectes, à récolter quelques plantes, à écouter le concert des sons de la vie.

Je m'étais fabriqué un monde, mon monde... Où les "autres" ne m'imposaient rien, ne conditionnaient pas mes rêves et mes désirs. Je voulais mener une vie au coin du feu, une vie dure... mais pure. Du haut de mes 19 ans, je voulais refaire le monde.

Les nuits se faisaient de plus en plus fraîches, les visiteurs de plus en plus rares, et tout dans la forêt préparait la venue de la saison jaune ; les arbres chantaient les dernières hymnes au soleil, attendant le repos de l'hiver. Merlin accueillait les druides venus récolter les premières plantes automnales ; la Bretagne est une région magique pour cela, il y a quelques traditions de l'ancien monde que la modernité n'a pas encore réussie à voler.

Cette nuit, la lune pleine et grande comme un soleil, baignait le paysage d'une douce lumière argentée, plus belle que jamais, elle caressait les arbres d'un rayonnement magique. La forêt entière et ses habitants étaient agités par une étrange euphorie, une agitation inhabituelle peignait une atmosphère très particulière et différente de celles des nuits précédentes. Les feuilles des arbres et les plantes étaient penchées en direction de cette lueur, comme en prière. Avec une infinie douceur, la lune venait chanter ces airs semblables à des berceuses ; avec une infinie douceur, elle venait border la forêt et rendre la nuit lumineuse, rassurante, promettant le retour du soleil.

Le feu crépitait... le feu chantait, de toute sa puissance il célébrait l'hymne à la vie, s'élevant parfois dans de grands élans pour fêter à sa manière cette nuit de pleine lune. Je réalimentais souvent ce feu, prévoyant une longue veille ; l'ardeur des braises réchauffait mon coeur refroidi par ces semaines de solitude.

Il y a des nuits étranges qu'on passe dans l'attente... dans l'attente d'un événement, de quelque chose qu'on ne sait déterminer. Ces nuits là sont longues et chacune d'elles ressemble à une vie entière. Quand on se réveille le lendemain, on renaît, on sait avec certitude que notre vie sera désormais autre... fatalement... définitivement... heureusement.

Le dos contre le plus vieux chêne de la clairière je sentais sa sève monter, monter vers les branches les plus élevées, les plus tendues vers le ciel, vers la lumière. Certaines branches avaient plus subies les prémices de l'automne que d'autres, tandis que certaines s'asséchaient, d'autres puisaient toute la sève possible. Il en est ainsi aussi pour les hommes, quand les uns s'assèchent et cèdent, d'autres veulent puiser au plus profond de la sève de la vie, s'élançant dans une bataille verticale, en promesse d'un peu de lumière.

Appuyée contre le généreux tronc, je ressentais sa force et sa sagesse ; et j'essayais de deviner son age et d'imaginer les personnes et les vies qu'il a du contempler depuis cette même place où il se trouvait... Je revenais à ma réalité, à ma jeunesse et à mon éphémère passage dans cette clairière, et je caressais, émerveillée, cette vieille et rugueuse écorce qui avait tant de choses à me conter et à m'apprendre.
Cette nuit était donc une de ces nuits là... Ces nuits qu'on passe éveillés dans l'attente de quelque chose, "la tête dans la lune". Réconfortée par les douces musiques de la forêt, le vieux chêne et la chaleur des braises, je regardais cette nuit défiler.

Je fut presque effrayée quand j'entendis les bruits de pas écrasants les premières feuilles sèches sur le sol ; ce bruit allait en augmentant, et les pas avaient tout l'air de se diriger vers "ma" clairière ... Le coeur battant, je m'inquiétais de cette étrange présence, plus qu'inhabituelle, au milieu de la nuit. Plus les pas s'approchaient et plus un soudain instinct, violent, animal, me saisissait. Je saisis le plus gros bout de bois à ma portée et attendis de pied ferme le mystérieux visiteur. Quand il fut assez proche pour voir le feu, les bruits de ses pas cessèrent. Une bonne minute s'écoula ainsi ; comme deux animaux on était là à se guetter, méfiants, l'un comme l'autre. Il fut le premier à se décider à venir à ma rencontre ; avec des pas surs mais lents, il pénétra la clairière.

Cet instant précis et l'expression sur son visage sont à jamais gravés dans ma mémoire. Surpris de me voir tenir cet énorme bout de bois et prête à bondir sur lui, un grand sourire se dessina sur son visage. Son sourire était un de ceux qui, comme par enchantement, nous apprivoisent immédiatement, forcément. Naturellement, paisiblement, il s'approcha de moi avec toujours le même sourire, pris la grosse bûche d'entre mes mains, la posa à terre avec une infinie douceur et alla s'asseoir près du feu. Sans aucune méfiance je le suivis et suis allée m'installer en face de lui.

Je restais là à le regarder, sans oser parler, sans ressentir le besoin de poser une quelconque question. Et quand je me décidai enfin à balbutier quelques mots, (ces mots que notre ego éprouve le besoin de dire dans une situation qui nous impressionne), il m'interrompit avec le même sourire... quand il souriait, son visage entier souriait, comme les enfants, qui ne sourient jamais par politesse, à moitié, pour faire plaisir...

Sa peau était brunie par le soleil, et sa carrure était celle de ces rôdeurs qui parcourent nos pays, le reflet du feu dans ses yeux exaltait leur couleur mielleuse et leur brillance malicieuse. Il n'était pas un de ces visiteurs, ici il était chez lui ; et quand il se mit à chanter la forêt entière chantait avec lui et pour lui. Le feu, le vent, les arbres et les plantes, murmuraient avec lui des airs que seuls eux et lui connaissaient, quand il chantait, tout autour de nous semblait tendre l'oreille pour ne rien manquer à ces poèmes. Il ne parlait pas, il chantait... Sa voix s'élevait au-dessus de ce monde sensible qui nous entourait, elle était prière. Le feu dansait. Tantôt perçante et puissante, tantôt douce et plaintive, elle chantait la mélancolie et l'espoir, la sensibilité et la force... Hymne à la vie, elle envahissait l'espace, le possédait avec violence et douceur.

Oui il était chez lui et j'étais son invité. La lune avait bien avancé dans le ciel et une bonne partie de la nuit était déjà passée. On était resté là, près du feu, partageant des sourires. Sa voix réchauffait mon coeur, et ses yeux étaient des promesses d'un nouveau soleil... Bercée par sa mélodie, je m'endormis près du feu sans m'en apercevoir, et m'envolais pour des mondes merveilleux où la musique est loi, où mon coeur n'avait point froid.

Le matin, j'étais seule dans ma clairière. Elfe est parti. Tout naturellement, je pris mon sac et m'en allai.

Comment avais-je pu imaginer vivre seule ?

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Publication : Concours "Rencontre sous la Lune" (Mai 2001)
Dernière modification : 07 novembre 2006


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