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Murmures

Attentif et immobile, Alastor écoutait les jérémiades du vent nocturne. Perdu au milieu des oripeaux des anciens guerriers, l'enfant de dix ans sentait une jubilation mêlée de mort et de volupté s'emparer de lui. Ombre parmi les ombres, son corps tel un souffle se confondait à celui de la nuit. Un bruit de pas soudain se fit entendre : les squelettes reprenaient vie. L'un d'eux, marchant d'un pas décidé, s'avança vers lui puis posa sa main décharnée sur son épaule.

Tout secoué, Alastor se réveilla. Une silhouette courbée se tenait devant lui dans la lumière du jour naissant.
" Réveille-toi, voilà l'aube, l'occasion pour toi de faire montre de ta maîtrise de l'Art au grand conseil!"

Dans un grognement, le jeune garçon daigna se lever et alla rejoindre le baquet d'argent pour y immerger son visage et émerger ainsi de sa torpeur. Son reflet moiré apparaissait dans l'eau. Il contemplait pendant quelques instants son visage blême qui lui souriait ainsi que celui du vieil homme qui s'approchait. Vêtu d'un manteau de nuit, il tenait dans sa main droite une longue pipe sertie de cristaux couleur améthyste et saphir. À son coup pendait un globe de terre argentée auréolé d'une lueur astrale, sur laquelle se reflétait son visage sculpté par la sagesse du temps. Ses yeux céruléens occultaient mal une certaine angoisse et ce en dépit de l'air impassible qu'il arborait habituellement, caché derrière sa barbe de bicentenaire.

Après avoir récupéré ses esprits, Alastor sentit une étrange sensation parcourir son épaule comme un frisson permanent qui lui tiraillait la peau. Cependant, ce phénomène ne parut pas l'inquiéter outre mesure, il était bien décidé à dévoiler au grand mage l'étendue de son savoir. Il se munit de son matériel d'alchimie antique et passa la porte de la chambre. Malgré la clarté diurne qui illuminait la précédente pièce, une lueur vespérale accompagnée d'un froid mystérieux se répandait dans le couloir orné de peintures préraphaélites qui menait vers l'entrée de la grande demeure. Les murs cylindriques semblaient communiquer entre eux : une voix térébrante sifflait à ses oreilles au point de l'abasourdir et de le déséquilibrer. Son corps inerte gisait sur le sol comme pétrifié. Sous ses yeux sans expression défilaient d'étranges silhouettes dont les visages masqués par l'ombre de leurs cheveux ne laissaient paraître aucune émotion, mais leurs voix, lesquelles résonnaient dans son esprit, dégageaient une impression de pouvoir immense. Dans un éclat de lumière, l'une d'entre elles prit la parole :
" Alastor, le Très Vénérable Conseil Des Cinq vient d'achever les délibérations. Ton extranéité n'a pas facilité ces dernières, mais nous sommes parvenus à un accord. Le pouvoir de possession n'est pas un don très répandu et il est craint par bon nombre de Mûsilyns. Cependant, le plus vénérable d'entre nous, Yuékhan, ton Initiateur, a plaidé ta cause pour éviter que ne soient scellés tes dons. Nous allons donc te soumettre à une épreuve : tu devras faire bon usage de tes talents dans des conditions réelles."

Après qu'eut finit cette première voix, une autre face à elle jaillit telle des flammes et continua :
" Pour ce faire, tu devras vivre un brin de vie des deux êtres les plus improbables et les plus pathétiques du monde des humains, dont les noms sont Ludivine Lanternarius et Tom Morteseaux."

Après un moment d'observation, il reprit d'un ton lugubre et menaçant:
" - Mais si tu ne reviens pas indemne de cette épreuve, tu seras condamné à errer dans les méandres abyssaux de leurs esprits, tourmentés par les affres de la vie terrienne, emprisonné dans le cachot infernal de leur crâne, partageant leur souffle, ressentant comme tienne la chair de leurs enveloppes corporelles se tordre de douleur sous les assauts implacables et déchirants de la torture.
- Inutile d'en rajouter davantage que nécessaire Grand Maître Du Crépuscule ! intervînt l'Initiateur. Je pense avoir été on ne peut plus clair avec les éminents membres de ce conseil dont je suis : j'ai foi en lui depuis le jour où je l'ai recueilli. Je lui ai appris tout ce que l'un des nôtres doit savoir après dix années d'existence. Souhaitons-lui simplement bonne chance!"

Suite à cette intervention, un grand vent se leva et à mesure qu'il chantait de son souffle rauque, les visages s'estompaient dans un épais brouillard. Le temps et l'espace n'existaient plus.

Alastor rouvrit les yeux. Des cheveux doux et soyeux lui caressaient le visage. Dans sa main, un oeil doré, symbole de clairvoyance le dévisageait d'un air sévère car au travers de celui-ci, le conseil dans son intégralité l'observait.
" La première épreuve ! pensa-t-il en contemplant son corps de jeune fille, ainsi me voilà dans la peau de, de, mais de qui au fait?
- Ludivine, Ludivine! rugit sa main. Profite de ce moment d'observation. La possession doit rester temporaire. Il ne te faut pas dépasser 4 heures par jour, ton hôte risquerait de sombrer dans la démence au-delà de cette durée. Tu es dans son corps pour découvrir l'origine d'un mal étrange susceptible d'affecter l'existence de cette personne. À toi d'agir désormais. Souviens-toi néanmoins que tu as accès à sa mémoire quel que soit ton état et à ses pensées. Fais en sorte de recueillir le plus d'informations possibles avant d'entreprendre quelque action que ce soit, bonne chance".

Après que les derniers ordres furent donnés, Alastor contempla son nouvel environnement. Il s'agissait d'une chambre de petite fille dans laquelle se trouvaient un lit de petite fille, un miroir de petite fille et des jouets de petite fille comme des poupées qui semblaient ne pas avoir servi depuis fort longtemps. Sur le lit trônait tel un monarque un gigantesque ours en peluche sur lequel était inscrit comme une devise : "Je suis ton meilleur ami". En dépit du décor rose pastelle, un silence anormal et pesant assombrissait l'ambiance de la pièce. Conformément aux instructions reçues, Alastor était à l'affût du moindre détail et du moindre signe susceptible de le guider. Son regard se posa alors sur un vieil ouvrage semblant appartenir au maître de ce lieu. Ce livre décrépi, bien que d'apparence ordinaire semblait gémir comme s'il s'agissait d'un être vivant. Ne sachant quoi y trouver, il l'ouvrit doucement pour en connaître le contenu...

Au dos de la première page figurait un étrange dessin : une enfant allongée sur une minuscule barque, bercée par le faible courant de la rivière cristalline. Son visage si paisible lui rappelait le tableau d'Ophélie de Millais : les tons crépusculaires de la voûte céleste faisaient ressortir le hâle blafard du corps nu. Pendant quelques instants, il eut l'impression que le dessin s'animait de lui-même, mais dans un moment de lucidité, il comprit qu'il s'agissait de souvenirs enfouis qui rejaillissaient. Une scène atroce, entrecoupée de cris stridents et de gémissements étouffés, se déroulait dans son crâne : alors qu'elle jouait, l'enfant fut attaquée par des créatures qui longeaient le bord de la rivière. Celles-ci, d'apparence humaine, n'en avaient néanmoins pas le regard car un néant luisait au travers de leurs pupilles vitreuses, telles des pantins manipulés par une force invisible. Sur leur front une étrange main poignardée y était représentée. Vêtus de suaires et de linceuls, ces esclaves du vide s'apprêtaient à sacrifier leur proie.

Soudain la réminiscence prit fin. Le corps de la demoiselle demeurait fébrile et fiévreux. Pris de vertige, Alastor s'affala sur le lit. Son esprit troublé par les évènements qu'il venait d'entrevoir se laissa emporter par un profond sommeil.

Mercredi 18 septembre, 7 heures du matin, la jeune fille se réveille sous les appels incessants de sa mère.
" Lève-toi, tu vas être en retard, le petit déjeuner est prêt, dépêche-toi de te préparer."

Affublée d'une coiffure hors du commun, la jeune femme de 22 ans, dans un élan de courage, parvint à se lever. Après qu'elle eut rafraîchi son visage innocent, un profond bâillement vint ponctuer la fin de sa torpeur. A son entrée dans la cuisine un bol de chocolat chaud l'attendait encore fumant, ainsi qu'une salade de fruits exotiques. Contrairement à son habitude, une faim étrange la tenaillait. Elle dévorait goulûment tout ce qui se présentait à sa vue : outre la salade de fruits et le chocolat, elle réclama deux bols de céréales, une bouteille de jus d'orange et un paquet de cookies. Subjuguée par la voracité de sa fille, la mère l'observa pendant quelques instants les yeux écarquillés. Elle avait du mal à la reconnaître, mais cet appétit insatiable ne l'inquiétait qu'à moitié. Elle qui craignait que son enfant ne dépérisse.

Le repas une fois achevé, la demoiselle fila dans sa chambre pour se préparer, le vieux livre était posé sur la table de chevet. Elle le saisit et le mit dans son sac d'école.

" C'est le livre que j'ai trouvé hier, pensa-t-elle, je devrais peut être essayer de le lire dans le bus", ce qu'elle s'empressa de faire une fois à l'intérieur.

" Pas de titre, pas d'auteur. Un livre sans nom! Je parie qu'on va me demander d'écrire la suite... Et ça se croit original !" pensa-t-elle.

Mais au moment où elle s'apprêtait à tourner les premières pages, une personne pour qui elle nourrissait une profonde inimitié vint s'asseoir auprès d'elle. Il s'agissait d'une cousine répondant au nom d'Alexandrine. Elle avait à peu près son âge, était blonde de cheveux et d'esprit, pourvue d'yeux verdâtres, d'un nez écrasé, d'une taille moyenne et d'une silhouette rondouillarde. Vu de dos, les tissus adipeux de son corps lui donnaient l'allure d'une femme-sandwich tandis que les traits de son visage hargneux rappelaient ceux d'un bulldog anglais.

" - Alors, le sac d'os toujours à l'école! Il faudrait peut-être grandir un peu si tu veux te trouver quelqu'un plus tard!" grogna-t-elle avec malveillance.

Ludivine feignit de l'ignorer, mais le regard de sa cousine se faisait de plus en plus insistant, il demeurait fixé sur elle avec une envie de nuire clairement affichée.
" - Qu'est-ce que tu trimbales là, c'est ton journal intime je parie, montre !"

Avant même de pouvoir réagir, Ludivine se vit arracher le livre des mains par sa tortionnaire de cousine, laquelle l'ouvrit sans attendre. Elle prit une page au hasard et commença à lire ce qui y était inscrit :

" Les remous du fleuve se font plus violents que jamais, pourtant nous semblions avoir fait le nécessaire en la leur donnant comme convenu. Ce Vesper nous avaient pourtant assuré que le rituel serait une réussite...Quoi?!". A mesure qu'elle lisait ces mots, les phrases disparaissaient, et à sa grande stupeur une paire d'yeux sombres se dessinait sur les pages du livre qu'elle tenait. Ceux-ci d'un gris argenté, semblaient refléter quelque chose, mais à son grand désarroi, elle ne parvenait pas à en distinguer la forme. Soudain, ces derniers se fermèrent puis se rouvrir brusquement, tous dégoulinants de sang. Elle s'aperçut alors que ce reflet étrange n'était rien d'autre que le sien, à ceci près qu'il était dépouillé de toute enveloppe charnelle. Les pupilles montraient des mains lacérées caresser son cou osseux. La voix haletante de la chose lui susurra ces quelques mots : " Repose-moi si tu ne veux pas finir en sac d'os !"

Toute tremblante, Alexandrine remit le livre entre les mains de sa propriétaire, le tout accompagné de ses plus plates excuses, à la grande stupéfaction de sa cousine qui la regardait éberluée par cette transformation aussi soudaine qu'invraisemblable.
Le trajet se termina dans le calme et sans encombre.

Ludivine rangea le livre dans son sac avant de descendre du bus. Il s'était arrêté près d'une très grande place, laquelle portait le nom d'une célèbre bataille. Ludivine n'était plus qu'à quelques minutes de marches de l'université. Chemin faisant, elle sentait son coeur fragile battre la chamade comme si marcher lui demandait un effort harassant à accomplir. Elle venait de se remettre d'un terrible accident cérébral qui lui valut quatre mois d'hospitalisation. Mais aujourd'hui c'était la reprise, pas question donc d'être en retard, il lui fallait absolument réussir cette année qui lui tenait tant à coeur. Arrivée devant l'entrée principale de l'établissement, elle aperçut un de ses anciens professeurs qu'elle salua poliment. Celui-ci vint l'aborder de suite.

" - J'ai appris que vous aviez l'intention de revenir, je suis ravie de vous revoir parmi nous cette année, c'est si regrettable à votre âge d'avoir une santé aussi fragile! Ne vous inquiétez pas, j'ai parlé aux autres enseignants de votre cas, tout se passera bien cette année. Ne vous surmenez pas trop mais gardez votre sérieux." Ces paroles rassurantes étaient celles de Mlle Maylie, professeur de philologie chinoise pour qui Ludivine éprouvait beaucoup de sympathie.
- J'espère que les programmes n'ont pas trop changé, j'ai conservé mes anciens cours de l'année dernière.
- Pas que je sache, mais que cela ne vous dispense pas d'être assidue et de prendre des notes! On se reverra sûrement tout à l'heure, dans l'amphithéâtre."

Après cette brève discussion, Ludivine alla consulter le tableau répartissant les étudiants par groupe. Cette année, elle allait devoir faire partie du groupe 4 dont le responsable n'était autre que M. Falaise, un professeur de philologie anglaise dont la réputation de sadique et d'opportuniste n'avait plus à être démontrée. L'an passé, il refusa la moitié des étudiants à l'examen final pour cause de retard. Ces derniers avaient été ralentis par un terrible accident de la circulation qui avait coûté la vie à un père de famille : celui de Ludivine. Elle apprit la nouvelle le soir même par un coup de téléphone des services hospitaliers. Cet accident transforma sa vie : elle ressentait l'envie de revivre le passé, hanté par son père disparu. Sa personnalité en fut donc très affectée : elle passait ses journées à la faculté sans dire mot à qui que ce soit lorsqu'elle n'était pas cloîtrée dans sa chambre. Le décès de son père l'avait enfermé dans un mutisme qui perdura jusqu'au jour où son esprit quitta son corps. Sa mère la retrouva allongée sur le sol, immobile. Deux semaines de coma s'ensuivirent puis elle se réveilla très affaiblie. A peine échappée d'un cauchemar qu'un nouveau se présentait : quatre mois de rééducation pour recouvrer ses facultés, les capacités mémorielles ayant été les plus atteintes.

" Alors...le premier cours du groupe 4 aura lieu en amphi 350 B à 9 heures et sera administré par...oh non c'est Falaise qui déboule, eh bien l'année commence bien ! ". Elle éprouvait beaucoup d'appréhension à l'égard de ce personnage qui était aussi insupportable que gras : son corps était à la minceur ce que le hamburger est à la gastronomie, et son caractère si colérique et sans aucune patience accompagné de sa voix de siphon suffisaient à faire peur aux étudiants les plus teigneux. Elle se souvenait très bien du premier cours dispensé l'an passé par cet " imposant individu " pensait-elle alors avant d'entrer dans son antre. Si sa prise de contact avec les étudiants avait été très originale, de cela tout le monde en convenait, elle n'en fut pas moins d'une rare violence. Voici quelques perles rares du discours de présentation qui avait été le sien un an auparavant :

" Bonjours tout le monde, je m'appelle M. Falaise ce qui est un nom très barbare car je suis français ! " ; " Je viens de Poitiers, une ville couverte de crottes de chiens, mon bureau pue et mes collègues me pourrissent la vue ! " , ou encore " Comme vous êtes en 3ème année de Licence, j'espère que vous n'êtes pas comme ces bébés de classe prépa, je vous préviens manquez un seul de mes cours et je vous mettrai un zéro à votre semestre ! " et sa fameuse phrase de conclusion " Avez-vous peur ? ".

" Bien, mieux vaut ne pas arriver en retard, j'ai déjà assez de problèmes comme ça ! " se dit-elle avant de se diriger d'un pas saccadé vers l'amphi 350 B comme si une guillotine l'y attendait. Mais avant d'atteindre l'amphithéâtre un étrange bruit attira son attention, il provenait d'une salle annexe dont la porte était restée entrouverte : M. Falaise semblait débattre vigoureusement avec Mlle Maylie, mais avant de pouvoir s'avancer davantage pour y jeter un oeil la porte se ferma aussitôt comme poussée par une rafale de vent. Ludivine sursauta de terreur, quelque chose d'étrange se passait dans sa tête, comme si quelqu'un l'appelait à partir de son crâne : une personne gémissait et tremblait telle une enfant se plaignant du froid. Affolée, elle se rendit aux toilettes pour rafraîchir son visage qui avait pris une tinte rouge vif et fixa son reflet dans le miroir. Il n'y avait rien de particulier au premier abord, elle prit une grande inspiration puis ferma les yeux. Elle eut alors une impression étrange : celle de ne pas les avoir fermés. Elle se voyait dans les commodités mais le miroir quant à lui n'était plus à sa place et sur le sol gisaient des morceaux de verres ensanglantés par des bouts de chair fraîchement sectionnés. Soudain les gémissements reprirent puis les morceaux de verre s'élevèrent du sol et vinrent se poser contre le mur avec une précision d'orfèvre pour reconstituer le miroir brisé. Ludivine le regarda, elle y vit tout d'abord un épais brouillard puis deux lumières jaunes. Elle comprit qu'il s'agissait d'une voiture, mais celle-ci roulait à une vitesse très élevée comme pourchassée par la brume. Quelques secondes plus tard ce fut l'accident. Le brouillard se dissipa, laissant apparaître les morceaux d'une Citroën Xantia grise éparpillés sur le sol maculé d'hémoglobine. Le corps de la victime ayant été éjecté par le choc était méconnaissable : la moitié du crâne avait été atrocement séparée du reste du cadavre. Ensuite accoururent les secours puis les forces de polices, puis s'en suivit un énorme embouteillage : les automobilistes s'impatientaient, d'autres étaient atterrés par cette vision. Cette scène ne fut pas sans lui rappeler l'accident de son père l'année dernière, et ce fut le cou noué par la peine et le visage ruisselant de pleurs qu'elle referma les yeux. À son retour une main posée sur son épaule apparaissait sur le reflet du miroir. Elle appartenait à un petit garçon d'une dizaine d'année. Celui-ci lui sourit et lui dit de ne pas pleurer avant de disparaître du reflet argenté.

La sonnerie retentit signalant la reprise des cours. Ludivine se rendit immédiatement à l'amphithéâtre 350 B. Arrivée dans la grande salle elle prit une place au hasard en cherchant du regard quelques visages familiers. Mais à mesure que la salle se remplissait pas une âme ne semblait lui évoquer de souvenir. Elle sortit ses affaires sans y prêter attention car de son sac c'était des anxiolytiques qu'elle cherchait, ces substances sensées apaiser ses nerfs, substances qu'elle appelait ses "cachets bleus". Elle en prit un avant l'entrée du professeur qui avait déjà dix minutes de retard, cependant que de nouvelles têtes continuaient de faire leur apparition. Parmi celles-ci, il y avait une jeune fille nommée Danaé. Elle était blonde, les yeux couleur de jade et dotée de beaucoup de caractère : à 22 ans elle était déjà partie en Chine, en Inde et au Japon. Les envieuses la disaient hystérique mais ceux qui prenaient le temps de faire sa connaissance la trouvaient plutôt enjouée et d'une intelligence remarquable.

En voyant Ludivine assise elle prononça un salut très sonore puis vinrent les questions et les explications:

" - Je pensais être la seule à refaire ma troisième année en allant en Chine! Je ne comprends pas tu as toujours été brillante élève. Même Collin qui passe son temps à faire la fête a été reçue! Je me demande ce qui a bien pu se passer pendant mon absence!
- J'ai eu un accident cérébral et je suis tombée dans le coma par la suite.
- Milles diables! dit-elle comme pour s'excuser.
- Mon père est mort dans un accident de voiture un peu avant, je crois que c'est ce qui a tout déclenché. Elle continuait ainsi, sans expression comme si elle s'était préparée à répondre à ce genre de questions avant la reprise des cours, puis voyant le visage de sa camarade défait par ce qu'elle achevait de relater, elle s'empressa de conclure par un "Ca va mieux maintenant".
- Et ces anxiolytiques c'est parce que tout va bien aussi !?
- J'ai juste des douleurs au crâne de temps en temps, mais rien qui ne se soigne pas avec des cachets bleus !"

À cet instant M. Falaise pénétra dans la salle avec nonchalance. Il avait l'air fatigué et très affaibli et aussi étrange que cela pût paraître, il commença son discours par des excuses du fait de son retard.
" - Bien...Voici une brève bibliographie avant d'entamer cette nouvelle année, dit-il en allumant le rétroprojecteur, comme vous pouvez le voir nous insisterons particulièrement sur la linguistique et sur la littérature anglaise du XVIIIème siècle. Je vous invite à lire le programme attentivement avant toute chose..."

À mesure que le professeur expliquait en détail le contenu du cours, Ludivine eut l'impression de renouer avec un quotidien, tout cependant lui semblait fané : le décor de l'amphithéâtre, les discussions imbéciles, les regards affairés de ceux du premier rang, absolument tout. Son amie n'osait pas la regarder, l'idée de son absence tout comme l'image des médicaments la mettaient mal à l'aise. Elle tentait de s'imaginer la détresse que l'on pouvait ressentir face à la perte d'un être cher. Cette détresse avait cependant trouvé un corps pour s'y incarner et ce corps était assis à ses côtés, indiciblement serein.

Le cours prit fin, les deux jeunes filles investirent les lieux d'aisance pour y échanger quelques banalités alors que la lumière estivale se dissipait dans l'éther, annonçant ainsi l'arrivée de l'automne :
" - Tu parles d'un premier cours! commença Danaé.
- Il a changé ce sale type, il était plus sadique que ça l'année dernière.
- Il se rattrapera sur nos copies... Au fait les étudiants d'Histoire de l'Art organisent une soirée d'intégration vendredi soir, ça te dirait de venir avec moi, je te présenterai mes nouveaux potes.
- Pourquoi pas, j'ai rien de prévu alors... " La sonnerie de son téléphone l'interrompit.

" Oui j'ai vu l'heure qu'il est. C'est bon attends un peu j'arrive. À toute suite. "

" - Ma mère m'attend devant la fac, on s'appelle via MSN ce soir ok?
- D'accord. T'oublies pas la soirée de vendredi.
- T'inquiète, c'est ma mère qui va sauter au plafond mais c'est pas grave."

Ludivine alla rejoindre la responsable du coup de fil qui était garée sur le parking de l'université. Elle avait l'air rongée par l'angoisse. Dès qu'il aperçut sa fille elle lui ouvrit la portière de sa Xantia grise en lui disant:
" - Tu dois passer un scanner je te signale, c'est juste une vérification de routine alors on va éviter la nervosité si tu veux bien, prends exemple sur moi, déclara-t-elle toute crispée.
- Je suis confiante, le docteur m'a expliqué que mon état allait s'améliorer petit à petit.
- C'est parti, direction hôpital Gilbert des Vieilles Roches.

Après une demi-heure de route la voiture s'arrêta. L'hôpital n'était plus qu'à quelques mètres, l'angoisse se lisait sur le visage de maman mais étrangement Ludivine semblait indifférente comme anesthésiée. Elle ne laissait paraître aucun signe d'inquiétude et se dirigea vers l'hôpital, décidée. Une fois à l'intérieur ce fut elle qui s'adressa à l'hôtesse d'accueil et le docteur Ryan la reçut quelques cinq minutes après, chose extrêmement rare. Le docteur Ryan avait déjà eu affaire à elle puisque c'est elle qui était en charge de sa rééducation. Elle mena Ludivine et sa mère dans la pièce où le scanner était entreposé. Ludivine s'allongea sur la banquette en plastique et une assistante vint l'attacher pour l'immobiliser, la banquette se dirigea alors vers l'intérieur de ce qui ressemblait à un lave-linge. Après l'opération, le verdict tomba : plus une seule cellule endommagée.
" - J'ai beau chercher, je ne vois rien. Il est probable que vous parveniez à vous souvenir de qu'il s'est passé avant votre perte de conscience."

Mais rien à faire, elle ne parvenait pas à se remémorer ne serait-ce que les habits qu'elles portaient ce jour là.
" - Bien, je ne vois pas l'utilité de vous faire passer un autre scanner avant disons trois mois, sauf bien sûr si vous éprouvez d'ici là des douleurs particulières et certains troubles sensoriels. Il ne me reste plus qu'à vous souhaiter un prompt rétablissement et une bonne rentrée universitaire. Madame, mademoiselle, au revoir." Et le docteur prit congé d'elles sans autre cérémonie. Ludivine était perplexe, mais sa mère éprouvait un tel soulagement qu'elle dit à sa fille :
- Demande-moi n'importe quoi ce soir, c'est oui!
- N'importe quoi dis-tu?
- Dans la limite du raisonnable cela va de soit.
- Eh bien Danaé m'a invité à une soirée vendredi, je peux y aller?
- C'est d'accord, mais attention avec l'alcool, et aussi...
- Mesdames, un autre patient attend. Pouvez-vous vous dépêcher, le docteur Ryan va revenir d'un moment à l'autre, intervînt l'assistante.
- On en discutera dans la voiture. "

Elles n'en discutèrent pas et rentrèrent. Le jour de la rentrée, la tradition voulait que les étudiants n'aient pas cours l'après-midi. Ludivine allait pouvoir se consacrer à sa passion : la peinture.

Crayons en main, elle décida de faire le vide dans son esprit et de dessiner la première image qui se présenterait à elle. Comme rien ne venait, elle commença par représenter un enfant puis un démon lui faisant face. Le petit humain semblait appeler à l'aide cependant que le monstre prenait forme, elle s'empressa donc de rajouter au jeune garçon une épée, laquelle se trouvait plantée dans le coeur de la bête. L'enfant arborait désormais le sourire de la victoire et le démon l'expression de l'agonie : ses lèvres remuèrent alors pour prononcer ces quelques mots : " Arhnarëk crisus teryú thaä ". Une traduction se fit immédiatement dans son crâne : " Le cri de l'esclave s'est tu ". Des souvenirs réapparurent soudainement : son père, ancien archéologue à la retraite avait entreposé des objets issus de fouilles qu'il menait non loin de La Rochelle, dans un vieux monastère de l'an 1000. Elle se rappela s'être rendue au laboratoire qui se trouvait au sous-sol de la maison le lendemain de sa mise en terre. Elle y avait trouvé quelque chose d'inattendu car les recherches semblaient porter sur d'anciens rituels druidiques, mais le plus inquiétant était ce message gravé sur une stèle ornée d'ossements et d'écailles de poisson : " Seithmar ourfeg mor Mirna " ce qui d'après la traduction de son père signifiait " Le savoir se paie par la vie ", à côté de celle-ci, il avait ajouté la note suivante " Patrick fait en sorte que personne ne le retrouve ! ".

Ludivine posa son crayon et se leva. Elle se rendit au sous-sol, mais la porte d'entrée du laboratoire était fermée. Elle avait souvenance de la dernière fois qu'elle y avait mis les pieds. Sa mère descendit les escaliers à son tour pour l'y retrouver.
" - C'est là que je t'ai trouvé lorsque tu es tombée dans le coma. Tu sais, Patrick a récupéré les recherches de ton père. Ils ont travaillé de nombreuses fois sur les mêmes projets. Maintenant si tu veux bien, on va remonter : te revoir ici me rappelle trop de mauvais souvenirs.
- Avant de partir, je peux savoir pour quelle raison tu as fermé cette porte ?
- Eh bien ton père n'étant plus, ce lieu est devenu son sanctuaire à présent et maintenant remonte. "

Ludivine s'en fut aussitôt dans sa chambre. Elle se dirigea vers la commode et retira d'un tiroir une boite à musique offerte par son père à l'occasion de son dixième anniversaire. En ce temps-là elle rêvait de devenir danseuse étoile. Elle l'ouvrit et laissa la mélodie enchanter son esprit. Les paupières de ses yeux se fermèrent lentement mais avant de se perdre dans la volupté du repos, elle répéta ce qu'elle lui avait dit alors, tout bas :
" Les étoiles me manquent. "


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Publication : 01 février 2009
Dernière modification : 01 février 2009


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