Lomega se releva en criant.
Il avait le visage aussi rouge qu'après une séance d'abdos-fessier et suait à grosses gouttes. " N...Non " articula-t-il, en faisant un effort conscient pour délivrer sa langue de l'étreinte implacable de sa mâchoire.
Si elle avait eu des yeux, il aurait juré que l'Entité le regardait en ce moment même, le fixait même. Il sentait l'invincible volonté dans son esprit, l'intrus dont il ne pouvait se défaire - à l'affût.
Tout avait mal tourné après le conseil stratégique improvisé en comité restreint. z653z avait soudain disjoncté, et tous étaient tombés par terre en se tordant de douleur, la tête entre les mains.
Tous sauf Onirian, comme subjugué... Non, possédé était le terme qui convenait le mieux. Le Maître des Illusions se tenait debout entre ciel et terre, rigide comme un concombre gelé - qui sait pourquoi c'est cette métaphore qui lui était venue - et semblait clairement en transe.
A la douleur fulgurante qui lui avait alors traversé le cerveau, Lomega avait compris qu'Onirian était à son tour possédé, et les halètements d'angoisse qui venaient de ses compagnons tombés ne laissaient aucun doute sur le supplice qu'il leur faisait endurer. L'Entité se servait du Seigneur des Rêves pour confronter les Faeriens à leurs pires frayeurs et cauchemars secrets. Pris par surprise, Lomega ne put s'esquiver mentalement et encaissa de plein fouet l'assaut télépathique. L'effet ne se fit pas attendre...
Ainsi, lorsqu'il émergea quelques secondes plus tard, dans un terrible effort de volonté qui lui tordit les tripes, lui fit bouillonner le sang dans la face et suer comme un Orc, Lomega avait encore la tête pleine de variété des années 70 et se remémorait, bien malgré lui, les visions d'horreur qu'il avait dû affronter, à base de Danseur-visage en pantalon pattes d'éléphant, de danse sexy bovine et de concours de gobage de fraises Tagada. Il se demanda avec anxiété si c'était là le contenu profond de son inconscient, mais préféra porter son attention sur des problèmes plus urgents. Pour l'heure, il s'était libéré de l'emprise de l'Entité, mais il ignorait combien de...
Une nouvelle vague d'énergie mentale pure balaya son esprit et lui retourna cruellement le psychisme... Il banda les muscles virtuels de son lobe télépathique, serra les dents et s'apprêta à riposter mais l'ennemi, conscient de ses moindres pensées, intervint dans le bref laps de vulnérabilité et le toucha si durement qu'il s'écroula face contre terre.
" Un nouveau cauchemar, un nouveau cauchemar, un nouveau cauchemar... " se répétait-il inlassablement tandis qu'il traversait les brumes impalpables de l'inconscience vers les strates mystérieuses de son intimité cérébrale.
- Non ! C'est réel ! " Bien qu'il s'entendît hurler, aucun son ne sortit des lèvres de sa dépouille charnelle évanouie.
Lomega se releva péniblement. Il faisait si clair ici, et quel bruit ! Il recula vivement en contemplant le panorama qui s'offrait à lui, constitué de majestueux grand huit et autres attractions infantiles, mais le murmure d'admiration qu'il s'apprêtait à émettre s'étrangla dans sa gorge, au moment où il vit une meute de gamins de deux à huit ans se précipiter vers lui en riant. Il suivit leur regard, ce qui l'amena à se contempler lui-même (chose facilement réalisable dans un rêve) et constata avec horreur qu'il était désormais recouvert d'une épaisse fourrure brune et soyeuse. Il devait bien se rendre à l'évidence cette fois : il était Bisounours, l'ami des tout-petits, le calinou des bouts de chou, pour le bonheur des enfants et des parents. Il voulut reculer vivement pour esquiver l'étreinte d'un des marmots, mais son corps lui désobéit effrontément et enlaça chaleureusement l'enfant.
- Raah ! Lâche-moi, pourriture infecte ! " lâcha-t-il, mais à sa plus totale stupéfaction, il s'entendit prononcer avec une atterrante niaiserie : " Moi aussi, je t'aime !
- Je vais t'écraser petite ordure ! " cracha-t-il, ce que sa bouche d'ours interpréta librement en : " On va bien s'amuser !
- Nooonnnn !... " Lomega ne savait plus quoi faire, il était clair qu'il ne désirait pas s'enfuir mais partager des moments de tendresse unique avec... " Mais non, je suis Méchant ! Le PLUS Méchant !! " Lui qui était désormais si gentil et mignon.
Cette fois, il s'entendit hurler.
Scytale s'avança à travers les murs antiques du château, en réfléchissant insouciamment à ce qui passait par la tête d'un photon durant les huit minutes quarante de voyage qui séparaient le soleil de la terre.
De ce lieu vénérable semblait s'élever un parfum unique de sérénité, un calme si reposant, si ressourçant...
- Allez m'sieur, on y va, lui lança une voix guillerette, un mètre plus bas que la normale.
Il baissa les yeux et tomba genoux à nez avec un petit être souriant qui lui tendait un trousseau de clefs. " Venez m'sieur, le karaoké va commencer sans nous et le fort est grand. On va encore devoir courir comme des abrutis. Allez, on y va, et n'oubliez pas votre brosse à dents.
Le Nain partit en trottant, suivi du Tleilaxu qui se demandait tout de même où cela allait le mener. Ils traversèrent une cave pleine d'araignées, une salle au trésor, bousculèrent un vieillard avant qu'il ait le temps de les énigmer et passèrent le pont-levis qui, au lieu de les mener directement en pleine mer, les transporta au beau milieu d'un Loft où se déroulait une sacrée soirée.
Il répondit à quelques questions ardues sur la couleur des schtroumpfs et les dates d'éclosion de la pintade sauvage, tourna une énorme roue bariolée et voulut gagner des millions.
" Une glorieuse carrière de présentateur vous attend mon ami ", lui glissa la doublure d'Arthur, qui était entrée en sautant sur des échasses et des ballons remplis d'eau.
Scytale sourit, arborant une dentition impeccable qui lui avait valu le prix Colgate 2001 et s'apprêta à...
Dehors, la foule grondait. D'un murmure croissant et obsédant. La porte fut forcée et le malheureux Danseur-visage fut saisi par le Public, le Vrai cette fois, et immolé sur la place publique. Personne ne se soucia de ses hurlements.
Quand Galadriel voulut se connecter à Faeries par son client FTP pour effectuer la mise à jour tant attendue, elle fut surprise et contrariée de se voir refuser l'accès pour cause de login et mot de passe erronés. Toutefois, ce ne fut rien en comparaison du choc qu'elle éprouva en lisant sur le Faerium :
Zogrot fut lavé, gratté et récuré jusqu'à ce qu'il soit " plus blanc que blanc ", sans la moindre petite touche du vert qui le rendait si fier. Son clan le rejeta, Estellanara fit vider la piscine et ses mouches le quittèrent pour un hôte plus odorant.
Sugirva fut rasé de haut en bas, on lui peignit des taches noires et on lui greffa un pis et une cloche. Pour la première fois, il éprouva une sérieuse appréhension en voyant avancer le taureau...
Victime d'une surtension, z653z se retrouva prisonnier dans le vibromasseur de Jeanne Calment. Dans l'espace, personne ne l'entendit crier.
Fladnag, toujours aussi à l'envers, réalisa avec effroi qu'il avait mis sa culotte à l'envers, c'est-à-dire à l'endroit.
Le Telglin s'écoula lentement près des berges de la Faeries Bay et finit lamentablement dans une station d'épuration dont il ne ressortit rien.
Menelon, enroulé dans une jarretelle, se retrouva au milieu d'une salle de cinéma, bombardé d'eau et de riz.
Pour Onirian, l'effort était intense, mais il ne fut pas vain. Alors que l'Entité était occupée à orienter ses victimes dans des cauchemars sordides, le Maître des Rêves reprit soudain le contrôle et concentra toute sa volonté dans un effort désespéré pour s'abolir de l'emprise de la chose. Il parvint à bouger le bras, à le diriger même, et arracha soudain la fraise Tsoin tsoin qui lui avait été implantée. Cela lui causa une douleur si vive qu'une brusque poussée d'adrénaline psychique déferla en lui et lui permit de chasser définitivement l'intrus de son esprit. Cela eut pour effet immédiat de faire revenir tous les dormeurs à eux, mais c'est aussi ce moment que choisit Estellanara pour attaquer.
Presque dans le même mouvement, d'une incroyable célérité, elle shoota dans le Melon, balança un vicieux coup de genou dans l'entrejambe de Scytale, retourna Fladnag et assomma Lomega. Au même moment, le lave-vaisselle fit irruption en traversant une cloison pourtant à l'épreuve des poignées de compartiment, et engloutit Galadriel, le temps d'un claquement de couvercle.
- Tu dis de la merde ! s'exclama z653z dans un grésillement de câble de lave vaisselle en fusion.
L'assaut électrique fut fatal à l'appareil ménager qui émit un borborygme digestif peu ragoûtant avant de s'affaisser sur le parquet. Scytale se releva souplement, visiblement nullement affecté par le coup qu'il venait de recevoir.
- Tu oublis que je suis asexué ! s'écria-t-il en sautant à la gorge d'Estellanara.
Mais l'irréparable était déjà commis et Sugirva... enfin disons que... Sugirva... serait un problème à régler d'urgence à l'issue du conflit.
Tandis que l'Elfe possédée se débattait comme une démente, Telglin surgit de nulle part avec ce qui ressemblait bigrement à un fusil à fraises Tagada. Il tira, toucha, et la jeune femme s'écroula en poussant un petit soupir Lara-Croftien.
- Tu l'as tuée ! brailla Zogrot, prêt à la venger sur-le-champ.
- Non non !! s'empressa de dire Telglin. Ces fraises sont juste polarisées positivement, elles contrecarrent les effets néfastes des fraises russes modifiées !
- Mais l'Entité nous échappe une fois de plus... soupira Scytale. Tant qu'elle aura un abri dans cet entrepôt, nous serons impuissants et...
Un léger grattement métallique se fit entendre et tous les regards valides se portèrent sur le lave-vaisselle.
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