L'éditeur releva la tête avec un air soupçonneux. Au milieu de son salon se tenait un jeune sorbier qui avait la fâcheuse tendance à bouger beaucoup plus que ne le ferait un arbre normal en pareille situation.
L'éditeur avait senti que la journée serait très longue dès qu'il avait vu débarquer dans son bureau cet arbre parlant venu lui présenter un manuscrit rédigé par des auteurs qu'il représentait. C'était assez étonnant de voir un arbre défendre un bout de papier. Peut-être qu'il pensait déjà à ses vieux jours et à son nécessaire recyclage. Enfin, passons.
L'homme soupira :
- Dites, monsi... euh, enfin vous, là. Je ne comprends rien à ce manuscrit. En gros c'est l'histoire d'un type qui se shoote aux fraises Tagada et qui devient fou. A partir de là, il a des visions hallucinatoires peuplées de melons. Mais que vient faire le danseur d'opéra sur le retour qui s'est converti en sculpteur de masques de cire ? Et pourquoi engage-t-il un Minotaure et un Orc contre un paysan Elfe pour lui piquer sa fourche ?
- Euh, hum, ahoum, houm, hum, c'est vrai que c'est un peu brouillon par endroits. Houm, houm. Mais reconnaissez que ça fusionne d'idées et qu'avec un petit peu de réécriture, ça va faire un best-seller !
- Moui bof, à force de parler d'Anti-thé, on va s'attirer les foudres de tous les buveurs de tisane. Puis maintenant pour vendre faut du sexe ou de la violence. Si possible les deux.
- Ahum houm, mais il y a les deux ! Vous avez lu le passage où le Minotaure, l'Orc et la masseuse se retrouvent dans la piscine ?
- Ah non tiens, c'est où ? Il y a une gravure ?
- Et puis pour ce qui est de la violence, vous avez deux scènes terribles : le combat entre Sugirva, Zogrot et Telglin, qui aborde la thématique du sacrifice de l'amitié pour le besoin d'une mission dont dépend le sort de toute la filière de production des fraises Tagada. Sans parler de LA scène d'action où la plupart des protagonistes s'affrontent dans un maelström apocalyptique qui fait craindre la fin du monde.
- Moui, bof. Pas très visuel comme scène ; on voit rien.
- Oumf ahoum houm, c'est normal : z653z a fait sauter les plombs et l'absence de visibilité accentue la peur et la confusion.
- Plutôt obscur comme argumentation.
- Ahum, houm, hum. Je vous avais prévenu que cette histoire était sombre.
- Bon admettons. Qu'est-ce qui se passe maintenant ? Qu'est-ce qu'on fait ?
- Je vous serais très reconnaissant de m'arroser un peu la plante des pieds. J'ai fait un long voyage et je n'aime pas prendre racine chez des étrangers.
L'éditeur haussa un sourcil. Bah, après tout, il n'était plus à ça près. Il saisit le petit arrosoir vert qu'il gardait toujours dans le tiroir du haut pour les occasions de ce genre, et alla verser un peu d'eau sur les racines de l'arbre. Le sorbier s'ébroua de contentement et laissa tomber au passage quelques fraises Tagada de ses branches.
- Bon donc, reprit l'éditeur, qu'est-ce qui se passe ensuite ?
- Ahoum, houm, hum, oumf, houm, ahum, houm, houm, umf, Aho...
- Bon ça suffit vos bruitages !
- Excusez-moi j'ai un moineau dans le tronc.
- Eh bien faites-le sortir !
Le sorbier hoqueta et un moineau sortit du trou qu'il avait au milieu du tronc.
- Voilà voilà. Donc pour résumer le groupe est maintenant réuni et va tenter une action concertée contre l'Entité.
- Ah tiens ! Je serais curieux de voir ça.
- Tout va dépendre des plombs...
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