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Le Piège

Comment était-il arrivé ici ? Jarven n'en savait rien. Ce dont il était sûr c'est qu'il était bel et bien pris au piège. Il se trouvait dans une pièce sombre, à géométrie carrée. Les murs lugubres et cyclopéens suintaient abondamment, rendant l'atmosphère humide et froide. Deux flambeaux éclairaient timidement ce lieu glacial. Les dalles du sol irrégulièrement érodées rendaient la marche difficile. Il n'y avait aucune porte, aucune fenêtre, pas la moindre petite ouverture. Dans sa vie de voleur, il n'avait jamais connu situation aussi étrange.

Jarven sonda les murs dans l'espoir de découvrir une quelconque porte secrète. Il y en avait forcément une se disait-il. Il fit le tour de la pièce, mais ne trouva rien. Il revint au centre et scruta attentivement l'endroit. Il remarqua qu'un des murs restait étrangement sombre, comme si la lumière des flambeaux ne pouvait s'y diffuser. Il s'approcha si prés qu'il sentit la froideur surnaturelle des pierres. Il remarqua un bloc de plus petite superficie que les autres. Esquissant un sourire de satisfaction, il appuya fortement dessus. Une porte se perdit lentement dans le sol, accompagnée de crissements rauques et monocordes.

L'ouverture déboucha sur une grande salle soutenue par quatre piliers bizarrement répartis. Le plafond immensément haut, se perdait dans des ténèbres abyssales et froides. Ce lieu était de toute évidence animé par la sorcellerie la plus obscure, pensait-il. Un vent démoniaque venu de nulle part le fit frissonner de tout son corps. Le voleur perçut des bruits de pas métalliques, presque indistincts, qui s'accentuèrent pour devenir un insupportable écho. Bientôt, une silhouette se dessina dans la pénombre. Tout en marchant, la chose hiératique semblait glisser sur le sol, comme animée par une force invisible et démoniaque. Ce mystérieux corps prit forme au fur et à mesure de son avancée. Des jambes métalliques apparurent d'abord, puis une hache à double tranchant sortit de l'ombre et scintilla brièvement, la cuirasse d'un noir ténébreux émit d'étranges reflets violacés, enfin un casque au ventail fermé émergea du néant. Le garde avançait frénétiquement vers Jarven, qui sortit son épée du fourreau en cuir. Son torse nu et puissant était contracté, tout comme les muscles de ses bras. Il attendait patiemment le duel, prêt à riposter à la première attaque.

Le soldat se posta devant lui et resta impassible, comme un corps sans vie. Jarven ne savait comment réagir. Il gardait sa garde levée, et guettait l'adversaire. Il n'osait attaquer le premier ou même fuir. Il redoutait une intervention surnaturelle, intentée par quelque esprit dément et invisible. Il se persuada de faire lentement un pas en arrière, puis deux. Soudain le soldat leva ses deux bras au-dessus de sa tête avec une vitesse ahurissante, comme s'il avait eu un spasme nerveux dû à un sommeil prolongé, et abattit sa hache démesurée en direction de Jarven. Celui-ci, malgré la surprise, réagit aussi vite et fit un pas de côté. La hache se cogna violemment contre le sol, arrachant plusieurs morceaux de pierre.

Jarven riposta aussi preste qu'un tigre, et assena un coup d'épée contre la cuirasse du soldat, dans un bruit assourdissant de tôle. Le garde perdit l'équilibre, fit trois pas en arrière, et finalement se redressa avec raideur. Le voleur n'attendit pas, il tournoya sur lui-même, et lui trancha la tête. Le casque vola en l'air, avant de retomber dans un fracas métallique accentué par l'écho excessif du lieu. Le ventail se détacha, laissant apparaître un vide noir. Jarven poussa un bref cri de stupeur.

Le reste de l'armure ténébreuse était encore debout, pis encore, elle revenait vers lui hache en l'air. La gorge du voleur se serra presque à l'étouffer. Toujours il avait eu en horreur la sorcellerie, et pour la première fois il se battait contre elle. Malgré tout, il reprit ses esprits et se remit en garde. La hache du soldat fendit l'air de gauche à droite, le laissant dans une position désavantageuse. Jarven en profita pour envoyer son épée s'abattre sur son brassard, qui se désolidarisa et s'écroula sur le sol, puis flanqua avec force son épée sur la cuirasse. Il la frappa avec démence, une fois puis deux, puis trois. La chose infernale laissa choir son arme, s'affaissa, jusqu'à tomber à la renverse. Jarven continuait de marteler frénétiquement l'acier qui se cabossait, se fendait, se déchirait. Bientôt, chaque partie de l'armure se détacha l'une de l'autre, comme si la vie surnaturelle qui l'habitait s'était évanouie.

Le voleur, bien qu'essoufflé, se mit à rire très fort, si fort que les murs aux hauteurs infinies répercutèrent les sons longtemps encore. Il courut vers les ténèbres d'où était venu le garde d'acier. Peu à peu il distingua un mur, puis une porte. Il l'ouvrit et se retrouva dans une immense pièce rectangulaire. Il y régnait une chaleur étrange et moite. A l'autre bout il percevait une ouverture qui donnait sur une pièce sombre. Epée en main, il avança prudemment à l'affût du moindre piège. Des gouttes de sueur se mirent à perler de son front. Décidément il faisait très chaud ici. Jarven semblait inquiet. Plus il progressait, plus l'atmosphère devenait suffocante. Il se mit à courir pour sortir de cet endroit maudit. La température augmenta plus rapidement encore. Il s'arrêta à nouveau. Il comprit que plus il avançait, plus la chaleur s'intensifiait, et ceci proportionnellement à sa vitesse.

Ne pouvant rester éternellement ici, il se résolut à continuer son chemin. Il repartit en courant. Son corps devenait aussi moite que la pièce, la chaleur allait toujours augmentant. Ses muscles se détendirent peu à peu, si bien qu'il s'effondra sur le sol. Jarven était complètement détrempé, il essayait d'avancer par la force de ses bras déjà trop éreintés. Il releva difficilement la tête ; la porte était si loin. Il n'était qu'à la moitié du parcours et son corps se déshydratait dangereusement. Sa gorge était totalement sèche. Piégé par le désespoir, ses paupières se fermèrent doucement, sa tête humide et rouge se laissa choir sur le sol aussi bouillant que lui. Il attendait la mort, l'apaisement suprême.

Soudain Jarven se réveilla en soubresaut. Quelque chose lui brûlait atrocement le bas du dos. Il s'agissait du pommeau de son épée. Il le retira avec rapidité, et referma ses yeux, reposa sa tête. Il ne pouvait s'en sortir se disait-il. La chaleur s'accentuait à sa moindre avancée. Tout à coup il eut comme une révélation. Il se releva avec une extrême difficulté, les membres tremblants, se dressa fiévreusement. Il se dirigea vers la sortie à reculons. C'était sa dernière chance. Il se mit à sourire lorsqu'il sentit la température baisser peu à peu. Le voleur se sentait ridicule dans cette posture mais tellement vivant. L'environnement devint tiède, puis agréablement frais. Il se retourna et emprunta la sortie avec soulagement.

En face de lui se dessinait un grand escalier aux marches irrégulièrement hautes. Avant de l'emprunter Jarven se reposa quelques instants. Il avait tellement soif. Il aurait donné n'importe quoi pour boire, ne serait-ce qu'une simple gorgée. Ayant repris des forces, si peu à son goût, il emprunta l'escalier qui allait en tourbillonnant vers le haut. Comme il le redoutait la montée semblait interminable. Il marcha encore et encore, toujours allant plus haut. Il ne sentait plus ses muscles, et sa gorge le brûlait atrocement. Chaque pas qu'il faisait devenait plus pénible encore. N'en pouvant plus, il préféra s'arrêter un instant. A ce moment précis le voleur se croyait bel et bien perdu. Il s'assit sur une marche, sa respiration était courte et difficile. Il avait du mal à avaler le peu de salive qui lui restait. Sur sa nuque il sentit un vent frais très plaisant. Soudain, ses yeux s'écarquillèrent. Il se rendit compte qu'il était tout près de la sortie. Il se releva et reprit sa montée. Le courant d'air augmentait constamment, mais aucune porte ne voulait apparaître.

Jarven continuait toujours son ascension éperdue, lorsqu'il arriva devant un mur, avec un grand bouclier de forme arrondie au dessus de sa tête. Une impasse, et il n'avait croisé aucune porte ! Pourtant le courant d'air venait d'ici, il n'y avait aucun doute. Il passa sa main derrière le bouclier, et sentit un vent frais. Il le détacha du mur et le posa sur les marches. Une sombre ouverture pas plus large que ses épaules apparut. Il sauta avec agilité et s'agrippa fermement à la pierre. Il essayait de se hisser mais le mur était aussi lisse que la lame de son épée. Ses jambes ne lui seraient d'aucun secours. A la force de ses bras déjà éreintés et tremblants, il se dressa en poussant des cris de fureur. Il passa ses jambes, pénétra tout son corps dans la sombre ouverture, et finalement s'écroula de fatigue.

Une étrange lumière solaire envahit la pénombre. Une grande pièce au plafond immensément haut se dessina. Jarven perçut des bruits d'écoulement. De l'eau ! songea t-il. En scrutant le lieu, il découvrit au centre, une fontaine en marbre blanc veinée de marrons et de gris. Elle était ronde, et munie d'une colonne ondulée et sculptée en son centre, qui charriait un mince filet d'eau vertical. Le voleur se leva et regarda derrière lui. L'ouverture qu'il venait d'emprunter venait d'être rebouchée, comme si elle n'avait jamais existé. La soif l'emportant sur la prudence, il se dirigea vers la fontaine. Il trempa son doigt dans le liquide merveilleux, et le porta à ses lèvres. Elle avait un goût d'eau. Il allait peut être mourir empoisonné, mais pas de soif. Les premières gorgées furent douloureuses, puis sa gorge s'humidifia peu à peu. Jamais il n'avait ressenti un si grand plaisir à boire.

Le ventre suffisamment plein, il scruta les alentours. La pièce ne possédait aucune ouverture visible. Et il y avait cette étrange lumière qui inondait le lieu, comme si l'on était en plein jour, alors qu'aucun flambeau ornait les murs. Il remarqua que le mince filet d'eau avait étrangement grossi. Il commença à s'inquiéter lorsque la fontaine se mit à se craqueler de part en part. Soudain elle éclata, libérant un spectaculaire geyser. D'autres apparurent dans toute la pièce, déchiquetant les dalles du sol, les projetant avec une énergie titanesque. Le voleur les esquivait de justesse le plus souvent. Une pierre faillit lui emporter la tête. L'étrange lumière disparut, le niveau de l'eau se mit à monter démesurément, à une vitesse terrifiante, obligeant le voleur à nager. Il essayait de trouver une issue dans ce tumulte aquatique.

Un bruit sourd et rauque fit trembler les murs, l'eau se mit à bouillonner. Jarven regarda en dessous de lui. Le sol s'était complètement disloqué. D'étranges créatures aux yeux rouges et sournois apparurent au fin fond des abysses cyclopéens. Elles avançaient vers lui, aussi rapides que la montée de l'eau. Pris de panique, il scruta les alentours vainement. Il se ressaisit et observa le plafond qui s'approchait inexorablement. Il découvrit en son centre une dalle circulaire, mais il ne pouvait pas encore l'atteindre. Il plongea sous l'eau pour surveiller la montée des créatures. Jarven distingua des tentacules cauchemardesques qui se lovaient, se déployaient et se tordaient en des positions saugrenues. Les yeux rouges semblaient se délecter de leur proie.

Jarven revint à la surface, la dalle circulaire était presque à sa portée. Encore un peu de patience, et il pouvait la toucher. Il appuya ses deux mains dessus et poussa tel un dément. Tandis que l'eau le submergeait, il prit une profonde respiration et força encore. Il regarda dans son dos les créatures, masses informes de tentacules, approcher dangereusement. La peur lui donna un accès de furie incommensurable, il poussa une dernière fois, la dalle bougea, pivota. Il la posa sur le sol et jaillit de l'eau en prenant une grande bouffée d'air. Il grimpa prestement, un tentacule noir lui agrippa la jambe. Il sentit des dents acérées s'enfoncer dans sa chair. Il cria brièvement, sortit son épée, coupa, prit la dalle et reboucha l'ouverture.

Jarven inspecta sa blessure. Elle n'avait pas l'air grave. A côté de lui le morceau d'appendice coupé se tortillait en des spasmes violents, rejetant du sang verdâtre et gluant. Le voleur l'écrasa avec fureur. Il cria sa rage contre la force démoniaque qui jouait avec lui. Il avança avec détermination dans un couloir sombre et large. Il perçut de légers grincements et les murs se mirent à bouger en glissant bruyamment. Jarven se mit à courir aussi vite qu'il le pouvait. Les murs se rapprochaient invariablement vers lui. Il regardait au loin, seulement aucune porte, aucune issue ne venait. Il accéléra encore, tandis que son fourreau se cognait contre les parois mouvantes. Bientôt il aperçut une lumière, la sortie se trouvait devant lui. Il y était presque. Le couloir devenant trop étroit, il se mit de côté, et continua sa course en crabe. Il ne lui restait que quelques centimètres, il pouvait le faire. Dans un ultime effort, son corps émergea du couloir, il retira son bras avec rapidité. Les deux murs s'entrechoquèrent dans un tonnerre de sons infernaux et persistants.

Le voleur n'en pouvait plus, il était excédé, tant par sa course que par l'entité qui le harcelait sans jamais se montrer. Devant lui une nouvelle porte. Lorsqu'il entra, une grille s'abaissa derrière son dos, et se planta violemment dans le sol. La pièce rectangulaire possédait une porte sur chaque largeur de mur. Elle était éclairée par des dizaines de flambeaux. Il fallait bien ça au vu de sa taille. Sur le mur en face de lui, se dressait un emblème représentant d'étranges runes sur fond vermeil. Derrière la porte à sa gauche, Jarven entendit un effroyable cri suraigu, dénotant une peur infinie. Les plaintes se turent à jamais, puis un grognement puissant, glacial et exagérément grave fit trembler les murs. Jarven eut un frisson d'effroi. Jamais il n'avait entendu pareilles inflexions aussi abominables. Aucun être humain ne pouvait sortir de telles sonorités infernales.

Le voleur partit en direction de la porte de droite, pour rien au monde il n'irait de l'autre côté. Il l'ouvrit et découvrit un énième couloir obscur. Les murs suintaient, laissant tomber d'épaisses gouttes calcaires réfsonnantes. Il s'y engagea avec prudence, non sans ressentir un quelconque pressentiment. Il dégaina son épée et avança lentement, garde levée. Le couloir tournait vers la gauche en formant un angle droit. Il aperçut une nouvelle porte, et s'en approcha. Soudain elle pivota en grinçant sur ses gonds rouillés. Une créature qui autrefois avait été humaine jaillit épée en main. Son visage était décharné et cadavérique. Le voleur n'attendit pas, il chargea en sa direction et lui décrocha la tête. Elle roula en rebondissant sur le sol, et le corps pourrissant s'écroula lentement.

Jarven s'engouffra dans la nouvelle pièce. Il y faisait un noir total. Il ne distinguait rien. Il entendit des frottements aigus, semblable à une lame que l'on sort de son fourreau. Inquiet, le voleur préféra rebrousser chemin et attendre l'ennemi dans le couloir. Une horde de morts-vivants si abîmés qu'ils semblaient défier leur laideur putride, émergèrent des ténèbres l'un après l'autre. Leur nombre augmentait sans cesse, indéfiniment. Ils marchaient silencieusement en direction du voleur, épées brandies maladroitement. Jarven restait pourtant immobile. Il observait deux zombies plus avancés que leurs lugubres frères. Lorsqu'ils furent à distance suffisante, il décapita l'un et trancha les jambes du second, qui s'effondra à terre. Le voleur lui écrasa le crâne avec sa botte, dans un jet de poussière ancestrale, puis il courut vers la grande salle à l'étrange emblème. Il se posta au centre, et attendit encore, cherchant une solution pour s'échapper. L'armée de morts-vivants entra à son tour. Leur nombre était affolant, et il en venait toujours plus encore. Ils avançaient silencieusement vers lui, en le fixant de leurs yeux sans vie, blancs et globuleux. Il comprit que ce ne serait que pure futilité de les combattre. Ils ne semblaient pourtant pas vouloir l'attaquer, mais plutôt l'orienter vers le fond de la pièce. Il se retourna et contempla la porte où se trouvait une créature innommable. C'est là que les morts-vivants l'entraînaient. La pièce était déjà submergée par des centaines de visages putrides.

Le voleur s'arrêta devant la porte tant redoutée, il se plaqua contre elle. Les zombies étaient déjà sur lui, prêts à le happer de leurs doigts squelettiques. Soudain la porte s'ouvrit d'elle-même, et il tomba à la renverse. Un sol étrange et mou amortit sa chute. Comme si les murs, le sol et le plafond ne formaient qu'un tout, un organisme vivant, ce tout étendit sa chair, tel un amas de muscles roses, et referma à jamais l'ouverture. Les parois étaient visqueuses et gluantes. L'endroit ressemblait à l'intérieur d'un estomac, bien que Jarven n'en eut jamais vu. Il y régnait une chaleur oppressante. En bas, car le terrain, ou plutôt l'organe géant était en pente, il découvrit une immonde mare de sang. Il se releva et récupéra son arme. Brusquement, il sentit sous ses pieds le sol remuer. Les muscles de cette pièce vivante se contractèrent, les parois suintèrent un mucus écoeurant, la pente s'accentua, devint plus visqueuse. Le voleur s'écroula à nouveau et glissa vers la mare, en criant d'horreur. Dans un ultime réflexe, il planta son épée dans la chair, et se cramponna fermement. L'odieuse blessure rejeta des litres de sang corrompu, et lui souilla le corps.

Derrière lui la mare se mit à bouillonner. Il y avait quelque chose. Un corps mou, rond et allongé émergea en parti du liquide rougeâtre et replongea. Jarven essayait de se relever, mais en vain. Le sol était trop glissant. Soudain, la chose jaillit de sa mare putride et l'éclaboussa. Il se retourna lentement, et découvrit une horreur innommable. Le corps était celui d'un ver géant. Il supportait une tête aux contours exagérément accentués. Les oreilles étaient longues et pointues. La chose hybride se mit à sourire, laissant apparaître des dents acérées. Une langue de serpent sortit de cette bouche infernale, qui échappait un rire incroyablement caverneux.

Jarven sentit son épée se détacher de la blessure. Il tenta désespérément de la replanter, mais la pièce vivante contractait ses puissants muscles, et délogea progressivement la lame, jusqu'à ce qu'elle soit complètement libérée. Le voleur terrifié glissa invariablement vers la mare, et plongea dans l'odieux liquide vermeil. Il émergea aussitôt, et grimpa sur le corps du démon, s'y agrippa. L'horreur sans nom se retourna vers lui en exécutant des contorsions spectaculaires, et approcha sa gueule béante et menaçante. Jarven attaqua en taillant de droite et de gauche. Le démon esquivait les attaques avec une facilité déconcertante. Il secoua son corps en de vives impulsions, faisant tomber le voleur dans la mare, et plongea son énorme tête cauchemardesque pour tenter de le happer de ses dents acérées. Jarven jaillit de l'autre côté, planta avec fureur son épée dans son corps visqueux, et s'y cramponna. Le monstre poussa un horrible cri rauque, et se contorsionna en des spasmes violents. Le voleur essayait d'agrandir la blessure en agitant la lame énergiquement de droite à gauche. Soudain il fut une nouvelle fois projeté, et s'écrasa sur le bord de la mare. Le monstre chargea en sa direction, la bouche béante et baveuse.

Jarven crut sa dernière heure venir. Dans un ultime réflexe de désespoir, il plaqua ses deux pieds contre la gueule menaçante. Tandis que les crocs acérés s'entrechoquaient ignoblement dans le vide, le voleur tentait de repousser le démon. Les muscles de ses jambes, maculées de sang, se contractèrent jusqu'à devenir dur comme le roc. Ses dents étaient serrées presque à se briser. Il poussait des cris brefs et étranglés, mais rien n'y faisait ; le monstre ne reculait pas. A bout de force, il donna un puissant coup de talon dans son énorme oeil noir. Un grognement retentit. Jarven reprit espoir, et continua de marteler avec frénésie la pupille infernale, écartant avec son autre pied la gueule toujours claquant le vide. Les paupières cillaient avec démence, se mirent à saigner. Bientôt la cornée se perça et échappa un odieux liquide aussi sombre qu'une nuit sans lune, qui se déversa sur Jarven. Le monstre recula vivement sa tête et poussa un cri de douleur effroyable.

Bien qu'épuisé, le voleur repartit aussitôt vers son épée, toujours plantée dans le corps de la créature, et continua sa répugnante besogne. Le démon agita son corps en se contorsionnant violemment, il plongeait et resurgissait continuellement de son immonde flaque rougeâtre. Secoué comme une feuille ballottée par un vent fort, submergé par la mare de sang, Jarven arrivait malgré tout à inciser. Peu à peu, il sentit les muscles du démon se détendre, les convulsions cesser. Il ne restait plus qu'un pan de chair putride à couper. Les vaisseaux rejetaient un sang rouge sombre.

Brusquement la créature resurgit, et se dressa au-dessus de lui en poussant des cris de fureur. Elle fonça en sa direction. Jarven leva son épée au-dessus de sa tête, et dans un dernier effort il sectionna le corps dans un jet de sang. Le monstre ouvrit sa gueule en grand, vomit un soupir caverneux, et se laissa tomber lourdement. Le voleur se tourna et ferma les yeux pour se préserver des éclaboussures. La tête démoniaque s'évanouit lentement dans la mare de sang. Jarven rengaina son épée souillée, et se mit à rire. A rire si fort que les murs organiques en tremblèrent. Tandis qu'il rejoignait le bord, il perçut un léger sifflement suraigu. Venu de nulle part, une lumière étrange envahit la sanglante pièce. Elle s'intensifia, devint aveuglante, obligeant le voleur à se protéger les yeux derrière ses bras puissants. Bientôt les sons s'arrêtèrent, les rayons s'évanouirent aussi vite qu'ils étaient apparus.

Lorsqu'il rouvrit ses yeux, Jarven se trouvait dans une salle aux murs de pierre, normalement éclairés par des flambeaux. Le plafond était soutenu par de robustes poutres en chêne. Devant lui demeurait un trône en bois. Sur le haut dossier il y avait un emblème sculpté, représentant des runes étranges sur fond vermeil. Un corps inerte y était adossé, presque allongé. Son coup échappait par saccades, de minces filets de sang d'un rouge vif, qui allaient souiller un surcot beige. Par terre gisait la tête du comte Velaris. Son oeil droit était crevé. Jarven eut un sursaut en la voyant. Qui aurait pu croire que cet homme aux traits si sympathiques était en réalité un démon innommable ?

Il essaya de se rappeler comment il s'était fait surprendre. Il s'était pourtant assuré que personne ne l'avait vu s'introduire dans le château. Alors qu'il dérobait quelques précieux objets dans une chambre, il sentit derrière lui un courant d'air glacial. Lorsqu'il se retourna, il découvrit avec stupeur le comte qui exhibait un sourire narquois. Le voleur n'attendit pas et dégaina son épée. Sans un mot, le comte l'invita à l'accompagner, toujours souriant malicieusement. Après de courtes hésitations, le voleur rangea son arme et le suivit avec méfiance. Ils arrivèrent dans une grande salle, et Velaris partit s'asseoir sur un trône en bois. Il fixa longuement Jarven de ses yeux extraordinairement noirs, dans un pesant silence. Il se mit à rire aux éclats, comme s'il était satisfait de quelque chose. Le voleur fronça les sourcils. Il fit quelques pas en arrière, se retourna et se dirigea en courant vers les grandes portes qui se trouvaient devant lui, tandis que les rires s'amplifiaient, devenaient plus graves. Puis plus rien. Un grand trou noir. Il se retrouva dans une petite pièce carrée, humide, suintante et sans porte.

Jarven avait terrassé le monstre hybride, et par la même le comte Velaris. Il se mit à rire à son tour, si fort que les murs tremblèrent. Il sortit de ce lieu maudit en courant. Il partit vers les bois et récupéra son cheval. Voler les riches, c'était sa façon d'être libre, disait-il toujours. Cette fois-ci, il n'avait rapporté aucun butin. Mais il avait sauvé malgré lui le royaume d'un démon innommable. Grâce à lui, les gens dormiraient paisiblement la nuit venue. Grâce à lui, le comte Velaris, vénérable le jour, monstrueux la nuit, ne pourrait plus prendre des vies innocentes. Mieux encore, il était mort. Jarven était content de cela. Son cheval se cabra en hennissant et partit au galop, vers le soleil levant qui l'horizon de ses doux rayon orangés. Jarven rit aux éclats, si fort que les cieux endormis tremblèrent longtemps encore.

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Publication : Inconnue
Dernière modification : 07 novembre 2006


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La nuit des noyaux profonds  
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