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Le royaume des cieux

Prologue

L'horizon s'assombrit. La tempête souffle contre les murailles de notre royaume qui semblent si fragiles pour contenir les légions du Roi des Steppes. La guerre avance sur nous, jour après jour. Las, je ne suis qu'un hoqueton et mon capitaine serait fâché s'il me voyait ainsi te narrer, gente damoiselle, cette funeste journée qui vient de s'achever!

Imagine la grande salle capitulaire située derrière celle du Conseil, illuminée par une forêt de torches enflammées. Sur les gradins contre les formidables murs ont pris place les Hauts Conseillers, tâches de couleurs incongrues dans ces temps troublés. La sellette fait face à la Tarasque sculptée dans les moellons supportant l'estrade royale. Le Protecteur est là bien sûr, tout de blanc et de rouge vêtu, dans l'angle sinistre de la salle. Entre ses mains repose la Diseuse de Vérité. Il ne dit rien et ne voit rien, la cagoule sacrificielle lui recouvre les yeux. Il entend. Et c'est là son Art. Sais-tu que cette salle se caractérise par la finesse de son acoustique ? La parole s'y fait entendre sans effort grâce aux douze croisées d'ogives. On dit que le son y est tellement pur qu'il monte jusqu'au ciel comme une alouette !

Je me tiens entre la sellette et les trônes, entouré de cinq de mes compagnons d'armes. Nos lourdes pertuisanes sont tendues à l'horizontale pour former une barrière symbolique. Le premier Oracle pénètre dans la salle capitulaire, escorté par la garde du Khrêstêrion. Ces gardes ne sont ni hommes ni femmes et je crache par terre chaque fois que je les croise durant mon service. Nul ne les aime. Qui pourrait aimer celui qui lui ravit son premier né ?

Les trônes sont vides. Le Roi et sa Reine entreront plus tard. Avant de poursuivre, laisse-moi placer ce grain de raisin doré entre tes lèvres si douces et écoutes car nous entrons au coeur de cette cérémonie. L'Oracle s'assied sur la sellette pendant que toutes les torches s'éteignent, sauf trois. Le silence s'est installé dans la salle capitulaire. Alors la voix du premier Oracle s'élève, claire et forte.

Acte Un

" Dans les profondeurs du Khrêsterion, mes Maîtres ont consulté les signes trois jours pour me désigner truchement des Dieux. Mon nom est Rinne Go .En vérité je vous le dis, je suis le cycle des causes et des conséquences, la somme de ce que nous avons fait. Avant que l'étoile du Nord ne pâlisse dans le ciel nocturne, notre destin sera scellé et la Vérité révélée.

Les temps changent. Les certitudes que nous croyions éternelles s'évanouissent aussi sûrement que le pont de lumière après une averse orageuse. Les hautes et inexpugnables murailles que nous avons érigées ont vu se briser durant des siècles les échos affaiblis du monde extérieur. Nous avons protégé nos trésors et notre confort en enfermant dehors les étrangers, ceux qui ne nous ressemblent pas, ceux qui sont pourchassés par les gargouilles nées des guerres du Crépuscule. Oui, nous avons bâti un royaume des Cieux mais juste au milieu d'un immense camp de concentration.

En vérité je vous le dis, le jour vient où tout sera pesé car il arrive celui qui est annoncé dans les tables des prodiges. Derrière le Roi des Steppes marchent les peuples oubliés des nations dévastées. Ces enfants perdus ont formé une armée innombrable. Ce n'est pas une armée de conquête, une armée d'invasion, non...mais une armée de libération pour assurer le salut de leurs âmes égarées. Le Roi frappera trois fois contre les portes du Paradis. Laissez celles-ci s'ouvrir et dressez des couronnes de fleurs éternelles pour en ceindre le front du Roi et de sa suite. Partagez vos richesses amassées pour que notre monde enfin réuni puisse s'éveiller d'un long cauchemar. Une aube nouvelle se lèvera alors, promesse d'un nouveau commencement.

Je sais que dans vos coeurs, nobles Conseillers, brûle la flamme de la colère et de la peur car dans l'ombre des temples, j'ai discerné les paroles amères que soufflent Hugin et Munin. Mais que sont la pensée et la mémoire si nous hésitons à emprunter la voie qui nous ramènera vers notre humanité perdue. J'entends également les défenseurs du Grand Trek protester contre la pollution physique et spirituelle qui ruinera notre royaume et jettera à bas les fondations de nos valeurs morales. Je réponds que c'est moi qui suis assis sur la sellette face à la Tarasque et je suis une partie indivisible de la Vérité. Elle jaillira ce soir car je suis né pour vivre ce moment et les mots que les Dieux forment dans ma bouche parlent de paix et de fraternité, de pardon et d'amour

Demain, si les oriflammes de guerre se déploient sur le chemin de ronde des murailles tutélaires, je vous promets la victoire de nos armes avant la fin du jour. Mais lorsque le fracas et les cris cesseront, tout espoir de refondation pour notre humanité aura disparu. Il fut un temps où les steppes extérieures étaient de vastes étendues d'eau appelées océans. Et il fut un temps où notre monde comptait plus d'eau que de terre. Il fut un temps où les hommes franchissaient la barrière des cieux pour se rapprocher des Dieux, pour devenir des Dieux à leur tour. Mais les vrais Dieux courroucés par cette présomption ont semé la discorde dans leur coeur. Ainsi éclatèrent les guerres du Crépuscule. Lorsque le nouveau soleil se leva bien plus tard, le visage de notre monde avait profondément changé.

Aujourd'hui ne gaspillons pas l'ultime occasion de restaurer la primauté des Hommes sur la Terre. Aux côtés du Roi des Steppes, défions les monstres et les mutants qui nous confinent sur des territoires de plus en plus restreints. Le Roi des Steppes possède le nombre, nous avons la puissance. Séparément, nous n'avons pas la moindre chance de parvenir au dernier chapitre du Livre des Prodiges. Mais unis, ce Livre sera alors refermé tandis que le Livre de l'Expansion, jusqu'à présent clos, pourra être ouvert. En vérité je vous en conjure, demain, déployez les étendards immaculés de la paix et les anges descendront des cieux pour bénir cette nouvelle alliance. "

C'est ainsi, gente damoiselle, que parla celui appelé Rinne Go. Lorsqu'il eût fini, ses paupières se sont abaissées en signe de soumission et l'ombre du Dieu a déserté son visage, comme une ombre dissipée par une plus grande lumière. Aussi certainement que vous buvez mes paroles, l'assistance est restée coi un long moment. Les couleurs semblaient pourtant plus vives et l'espoir transfigurait de nombreux regards. Cependant, dans son coin, le Protecteur restait aussi immobile qu'une statue.

Mais ce n'était que le premier acte, douce aimée, du protocole divin. Les gardes du Khrêsterion se sont approchés silencieusement de l'oracle masculin. Ils l'ont invité à quitter la sellette. Ils l'accompagnèrent jusqu'au mur soutenant l'estrade royale où il s'est courbé jusqu'à ce que ses lèvres déposent un fugitif baiser sur le front de l'animal fabuleux, scellant ainsi son destin Enfin, un hallebardier en livrée rouge et noire de la garde personnelle du Protecteur lui saisit le bras pour l'escorter jusqu'à la place qu'il occupera jusqu'à la Décision.

Acte Deux

Ma douce, enchaîne-moi au bout mignon de votre coeur et je te suivrai hors des murailles protectrices. Mais avant cela, laisse moi poursuivre ma petite histoire. Nous sommes maintenant au milieu de la nuit et la clarté des torches vacille dans l'appel d'air glacé qui s'engouffre soudain. Tous inclinent alors la tête pour ne pas croiser le regard de celle qui s'avance, enveloppée dans une longue cape noire. Elle est d'une beauté stupéfiante, de cette beauté sauvage des enfants du Khrêsterion. De longs cheveux auburn cascadent en boucles rebelles autour d'un visage espiègle.

Elle est grande, presque aussi grande que les gardes qui l'entourent. Elle sourit et ses dents sont autant de perles dans un écrin de velours rose. Elle pourrait damner nos saints d'une seule oeillade assassine. Ses maîtres ont patiemment construit son intelligence et le langage des anges n'a plus de secret pour elle. La magie enokéenne a modelé ses perceptions en les étendant bien au-delà de nos pauvres et humaines limites. Elle s'appelle Mélusine, ce qui signifie, tu le sais, la bâtisseuse. Elle s'assied sur la sellette, en disposant soigneusement sa cape autour d'elle. Une étrange atmosphère s'empare de la salle capitulaire. L'éclat des torches se ravive brusquement quand la prêtresse lève ses bras soudain dénudés vers la voûte enténébrée :

" Eveille-toi, Ô noble et puissante force draconique,
Eveille-toi en moi et rayonne à travers tout mon être !
Ô souffle des dragons, grands et sages,
Fais de mon esprit un réceptacle de la Vérité !
Manifeste-toi en moi et rayonne à travers mon être !
Draconis... Draconis.. Draconis ! "

Les ombres projetées sur les murs dansent une sarabande ensorcelée. Immenses dragons de nuit glissant entre les ogives, terreurs oubliées aux ailes déployées, frôlant en sifflant les conseillers pétrifiés.

" Je suis Mélusine et je m'avance au coeur de cette nuit drapée dans la force des dragons, pour protéger le royaume. Souvenez-vous, au temps jadis, bien avant la Chute des Hommes, dans une langue maintenant oubliée, le mot " Darkamei " signifiait " voir, regarder ". Il a donné naissance au mot " Dragon ". Ainsi, toute la force du Dragon réside non dans sa cuirasse, ses griffes ou son feu mais bien dans son oeil.

Le Roi des Steppes avance aussi sûrement que le fléau de Dieu. Les légions noires des peuples déchus le suivent. Ils seront bientôt là, ils seront là demain, à nos portes, juste de l'autre côté des murailles tutélaires, menaçant notre paix et notre harmonie. Les gémissements des cornes de bataille s'élèveront sur la plaine. Avez-vous déjà vu une charge d'exogenétics ? Cela dépasse toute imagination ! Avez-vous entendu les affreux meuglements des taureaux de combat dressés pour tuer ? Non bien sûr ! Le Roi des Steppes frappera trois fois le battant de la porte du Soleil. Au troisième coup, l'obscurité voilera le jour. C'est écrit dans les astres. L'éclipse sera totale durant 6 minutes 6 secondes et 6 fractions. Le nombre de la bête.

Conseillers, il vous faut rappeler le ban et l'arrière-ban, les seigneurs et les barons des terres intérieures. Rassemblez les blancs pavillons des chevaliers sauroctones, l'élite de nos troupes. Il vous faut invoquer aussi les trois Vradysconns : Ignys Daraco, Paetryn Daraco et Aethyr Daraco car nous aurons grand besoin des forces conjuguées du Feu, de la Terre et de l'Air pour repousser l'assaut des forces du Mal.

En vérité je vous le dis aussi, la vie croît en moi. C'est le cycle immuable des choses. Cette vie frémissante, ans défense, aspire à naître dans un monde préservé des mutations cellulaires, éloigné des catastrophes écologiques qui ont suivi la Grande Chute. Les Maîtres du Khrêsterion, guidés par l'esprit divin, n'ont pas choisi en vain. La conjonction était favorable pour que le lent processus de création s'immisce en moi. La force du Sigillum Dei Aemeth, le pentacle de cire, s'est déversée alors au plus profond de mon être pour se mêler intimement à la segmentation holoblastique. C'est le gage de ma fidélité.

Demain, les anges descendront parmi nous pour combattre à nos côtés. Ce jour glorieux verra l'Ange Nalvage ouvrir le Livre Saint pour enfin en révéler le sens. Les bataillons du Roi des Steppes seront frappés de stupeur sacrée et les lames brillantes de nos armées faucheront une moisson infinie d'âmes, les libérant enfin du joug démoniaque. Le crépuscule sera rouge du sang impur qui coulera comme un fleuve impétueux jusqu'à l'antique Mare Nostrum qui, asséchée, boira cette source jusqu'à la dernière goutte. Beaucoup d'entre nous ne verront pas la fin du jour, martyrs d'une foi inébranlable, héros d'un futur épargné. Leur sacrifice ne sera pas oublié : leurs noms formeront la trame d'une route ensoleillée qui nous mènera à nouveau vers les étoiles. Là où nous devrions être. Notre destin, aussi sûr que la vie pousse en moi, s'écrit en lettres d'or dans l'écrin des cieux !

Alors ne baissez pas vos regards vers la fange et l'ordure, le passé et ses erreurs, les monstres et les mutants. Soyez insensibles aux sirènes qui supplient pour mieux vous précipiter vers votre perte. Fortifiez votre foi et levez les yeux vers le ciel qui vous attend. Ne quittez pas cet espoir. Le ciel vous attend...mais pas longtemps. La patience n'est pas divine. "

Sur ces derniers mots qui ont résonné comme une menace dans mon âme, belle enfant, Mélusine s'est tue. La cape a glissé sur ces épaules et elle est apparue, vêtue comme à son premier jour, exposant à tous les lignes parfaites de son corps à la blancheur d'albâtre. Elle ne se pressa pas, me semble-t-il, pour se rhabiller. Les gardes de son Ordre l'emmenèrent vers la Tarasque qu'elle toucha simplement d'un frôlement de doigts avant que les gardes du Protecteur l'accompagnent vers l'endroit où se tenait Rinne Go. Elle se tint droite sans jeter un seul regard vers son compagnon.

Tu souhaites connaître avant tout le monde le dénouement de cette histoire, gentille damoiselle ? Alors laisse-moi glisser quelques mots à ton oreille coquine. Quoi, tu rougis ? Libre à toi mais tu devras alors patienter encore quelques heures pour connaître, comme tout un chacun, le sort réservé à notre royaume. Tu secoues la tête ? Es-tu prête alors à payer le prix ?

Epilogue

Après le tumulte de nos sens, cette coupe d'ambroisie parfumée réveille en moi une nouvelle vigueur. Bel oiseau de nuit, tu as tenu ta promesse. Permets-moi de tenir la mienne à présent. Le rideau va se refermer sur ce théâtre d'ombres.

Les oracles ont parlé. Les conseillers se tournent les uns vers les autres, chuchotant en se masquant la bouche d'une main prudente. La décision marquera un tournant dans l'histoire du Royaume. De fait, ces oiseaux multicolores n'ont que peu de poids dans la balance du jugement. Juste présents pour perpétuer la tradition. Mes compagnons et moi reculons jusqu'à ce que nous encadrions la Tarasque de pierre.

Un léger arpège retentit, s'enroulant autour des piliers soutenant les ogives, trille éphémère qui annonce l'entrée du Roi et de sa Reine. Je ne le vois pas. Mais chacun sait qu'il est grand, vieux et sage. La Reine de Saison est à ses côtés. La voix du Roi est forte et majestueuse :

" Conseillers, les Dieux ont parlé. L'étoile du Nord pâlit et se couche déjà sur l'horizon Les temps changent. Rien ne sera demain comme aujourd'hui. Les rêves que nous avions caressés, les projets que nous avions formés, tout sera oublié. L'aurore est proche, ses doigts roses étendant devant nous un avenir incertain. La sentinelle sur le rempart scrute l'horizon vers l'Est où se pressent les foules derrière celui qui se fait appeler le Roi des Steppes.

Qu'on amène les deux oracles devant la Tarasque et que le Protecteur brandisse la Diseuse de Vérité. Il est tard. Peu de temps nous sépare de la guerre ou de l'alliance. "

Les Conseillers se penchent légèrement en avant. C'est une occasion unique d'assister à une cérémonie dont les origines se sont perdues. La vie d'un homme est trop courte pour en vivre deux !

Le Protecteur se lève lentement. Il maintient fermement la Diseuse de Vérité, grande lame de vermeil. Nul ne peut la regarder directement sans éprouver une gêne douloureuse. C'est comme regarder le soleil au travers un nuage peu épais. C'est une flamme vibrante faite d'un métal oublié semblant changer constamment de texture, sorte de bouillonnement froid et métallique, source de pure énergie. Le Protecteur, qui ne s'en sépare que pour la transmettre avant de mourir, vit une perpétuelle souffrance qu'il a appris à dompter dès son initiation. La terrible lame boit sa force vitale en échange de cette parcelle de divin qui le distingue entre tous.

Le Protecteur se place à deux pas de la Tarasque dont le mufle monstrueux s'ouvre en une sombre cavité. Comme un rêveur qui étend le bras de l'autre côté du miroir, la pierre s'éveille à la vie et palpite d'une chaleur nouvelle.

Les gardes rouges et blancs encadrent les deux oracles. Ces derniers ont rabattu le profond capuchon de leur cape sur leur visage. Rien ne les distingue plus à présent, étranges clones asexués. Il paraît que le Khrêsterion cultive ces pousses humaines, gommant la moindre aspérité émotionnelle tout en préservant l'enveloppe corporelle originelle. En quelques pas, ils sont devant le dragon tutélaire. Dans leur dos se tient le Protecteur, la lame dressée vers le plus haut point de la nef cathédrale.

Je ne vois toujours pas le Roi et la Reine, mais les conseillers se sont massés sur les premiers rangs des gradins. J'ai failli sourire à les voir se pousser et jouer des coudes pour être encore plus près. Mais sourire signifie mourir à cet instant, je suis trop près du flot d'énergie qui se prépare à jaillir.

Ferme ta si mignarde bouche ou tu pourrais gober...pourquoi cette tape, méchante ? Ne t'inquiète pas, je poursuis mais n'oublie pas.

Alors Rinne Go plonge son avant bras gauche dans le mufle grimaçant tandis que Mélusine fait de même, mais avec son avant-bras droit. Je transpire un peu sous mon casque. Tout ce que je sais de ces rites m'a été enseigné lors de mon initiation. J'ignore ce qui va réellement se passer, comme tous ceux qui se tiennent là. Nous occupons tous des places et des rôles qui ont été écrits pour nous dans le livre des Prodiges mais que nous n'avons jamais joués, ni même répétés.

L'alchimie s'opère dans une atmosphère irréelle. Il ne reste qu'une seule torche et son éclat habille la scène d'une teinte ambre profond. Les voûtes sont noyées dans l'obscurité. Je distingue de moins en moins nettement les oiseaux multicolores. L'air se densifie et chaque respiration devient oppressante, nécessitant un effort supplémentaire.

Un violent éclair illumine la nef d'une lumière aveuglante et persistante. Je rentre le cou dans les épaules attendant le coup de tonnerre qui ne viendra pas. Je n'ose me tourner vers la Tarasque, juste à ma droite. A la limite de mon champ visuel, une forme monstrueuse se développe lentement, deux énormes pattes prennent appui sur les dalles, suivies par une tête effrayante, démoniaque. Une autre paire de pattes se détachent du mur puis une dernière. Le dos de la bête supporte une carapace d'écailles irisées hérissée de pointes plus sombres. Enfin, elle déplie sa queue terminée par un dard menaçant. Le monstre fabuleux s'introduit dans notre dimension dans un silence soufré. Les oracles ont disparu. La Diseuse de Vérité pulse lentement, langue de feu blanc reliant la terre au ciel.

La bête légendaire ouvre ses yeux couleur ambre clair. Elle gronde sourdement, ses muscles roulent sous la peau cartilagineuse. Elle secoue sa tête en fouettant l'air de sa queue. Ma pertuisane ne sera pas d'un grand secours aussi je commence à ânonner les prières de l'agonisant, persuadé que ma dernière heure est venue. Ne pas bouger, telle est la règle que l'on nous a enseignée lors de l'initiation. Ne pas bouger ou perdre la vie. La Tarasque se redresse de toute sa gigantesque taille devant le Protecteur, le toisant de son regard chélonien.

Celui-ci me semble être la marionnette de son glaive de feu. Plus vite que l'oeil ne peut le voir, la lame a paré un formidable fouet décoché par la Tarasque, le dard stoppé net à une main du visage du Protecteur. Toutefois la puissance du coup l'oblige à mettre un genou à terre. Le souffle de la bête caresse son visage. La gueule s'approche, les crocs brillent d'un éclat humide. Alors le Protecteur pousse un hurlement tout en portant un coup d'estoc qui le désarticule vers l'avant, la pointe de feu embrochant le dragon de part en part. Devenu Protecteur Sauroctone, il se redresse hébété, jetant des regards éperdus autour de lui.

L'animal fabuleux de dissout rapidement dans l'air surchargé de soufre. Bientôt il ne reste qu'un tas de vêtements. Je les reconnais : ce sont les manteaux des deux oracles. Un tas qui bouge faiblement ! Le Protecteur s'agenouille à nouveau et délicatement écarte les étoffes où apparaît le visage d'un chérubin, d'un nouveau-né qui braille soudain et c'est toute la tension accumulée qui retombe enfin. Il le prend avec précaution pour le présenter à l'assemblée et au Roi au-dessus qui lance d'une voix forte :

" Ecoutez tous ! L'enfant est né, fils des oracles, pour manifester clairement la volonté des Dieux. Cela sera donc la guerre que voulait sa Mère mais l'enfant rappellera à chaque instant l'espoir que son Père avait mis en nous ! "

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Publication : 08 avril 2007
Dernière modification : 08 avril 2007


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