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Petite Elfe

"Mais de l'amour, je ne connais que ce mélange de désir,
de tendresse et d'intelligence qui me lie à tel être."

Albert CAMUS, le mythe de Sisyphe


Je n'aurais jamais cru pouvoir rencontrer une Elfe. Bien sûr, je croyais aux Elfes, et je regardais d'un oeil plein de pitié les gens qui se moquaient de ces légendes pleines d'êtres stupéfiants et farfelus qui ont à nous apprendre bien plus que n'essaient de le faire nos livres de science tous réunis.
Donc je croyais aux Elfes, mais je n'en avais jamais rencontré. D'ailleurs, on raconte que seuls les enfants nés le dimanche ont le privilège de les voir, et je suis né un mardi, autant que se souvienne ma grand-mère. Et bien il faut pourtant croire que ce mardi était un peu spécial, et avait par certains côtés l'allure d'un dimanche. C'était un jour de sécheresse, et depuis j'ai toujours essayé d'abreuver mon coeur à des saveurs nouvelles.

Les puits sont nombreux, et l'on y rencontre des ondines merveilleuses, mais ce fut l'air qui me surprit, il y a quelques années, en s'incarnant à la surface d'un lac que je m'imaginais triste et pourtant sur lequel dansait cette créature aux yeux scintillants comme des étoiles, cette elfe ravissante aux lèvres couleur de corail, aux dents comme de l'ivoire, et dont la chevelure d'un brun foncé se déroulait en cascades gracieuses sur ses épaules frêles.

Que dit-on sur les Elfes? Une vieille encyclopédie qui prend la poussière sur des étagères démodées croit m'apprendre avec des mots savants et un ton sérieux que les Elfes sont habiles, adroits et inventifs; qu'il est fort dangereux de les approcher et que l'homme aventureux tombe le plus souvent malade en leur compagnie et meurt d'une fièvre violente.
Suis-je tombé malade? Et quelle est cette fièvre?
Je crois que je meurs lentement et passionnément d'avoir croisé dans son regard les étoiles qui brillent dans le ciel des pays lointains.

Le pays des Elfes.
En quelque partie du monde s'étend un pays où les prés verdoient, où les arbres fleurissent, où les villes resplendissent d'or. C'est le pays des Elfes, dans lequel on ne vieillit jamais, et où les années passent aussi vite que les minutes.

La vieille encyclopédie m'a livré d'autres secrets, mais un seul m'a paru vraiment essentiel: dans tous leurs plaisirs, les Elfes mettent une passion extrême. Leur seule arme est un arc, leur unique cible un coeur.

Petite Elfe se réveille

Elle : "J'ouvre les yeux et je te vois, toi, ton regard qui comble mon être. Je veux t'aimer."

Je me souviens du matin, où Petite Elfe attend que le soleil frôle sa joue pour se réveiller. Sans un bruit, en contemplant la nuit mourir, je guette les taches de lumière jouer entre elles sur les murs. Elles font les premières ombres du jour, délicates et angoissantes, puis plongent dans la mer épaisse des cheveux de Petite Elfe. Des teintes vermeilles lissent ses mèches ondoyantes et font jaillir une délicate phosphorescence de cette grâce négligée par l'obscurité.

Petite Elfe répond à la lumière en souriant, en tournant son visage vers moi pour que le monde s'incarne enfin, dans un nectar de volupté que je recueille à la naissance de ses lèvres avec un regard extrême, car c'est de ce sourire dont dépend la journée.

Petite Elfe n'a pas encore ouvert les yeux. Pour elle le jour revient avec des sensations faciles. Une caresse, un souffle, un glissement vers la découverte. Le corps lascif s'éprend d'une étreinte confortable avec lui-même et lentement les yeux de Petite Elfe trouvent à nouveau la force de s'épanouir. Leurs pupilles se dilatent en absorbant la lumière naissante, et son regard se fixe au mien pour y déceler mon humeur. Excellente.

Le réveil de Petite Elfe est un moment de solitude heureuse, de redécouverte essentielle. Jamais je n'ai été aussi seul que ces minutes précédant le jour, où les charmes les plus mystérieux ont vocation à disparaître et où l'on espère, les yeux fixés sur sa nuque comme pour la retenir, que ses rêves ne vont pas la dérober à l'aurore. C'est seulement à l'instant où le sourire de Petite Elfe vous arrache un battement de coeur que l'on saisit la sensualité quotidienne de l'éveil.

Lorsque Petite Elfe s'éveille un monde se lève à ses côtés, un monde intime et fragile, mais particulièrement émouvant.

Laissant son corps tiède à l'abandon de ses étirements félins, je regarde au travers de la fenêtre, éblouie de soleil. J'y surprends les feuilles danser, sur les arbres ou dans le vent.

Si Petite Elfe est paresseuse le matin attendra la nuit pour se terminer. La journée devient alors une languissante résurrection, un abîme de plaisirs incorruptibles que seul le déclin de la lumière transforme en repos. Car si pour les hommes il est fatigant d'oublier l'heure, pour les Elfes seule la fatigue compte, pas l'horloge qui l'annonce.

On me demande parfois ce que l'on peut lire dans les yeux d'une Elfe le matin. On y voit des lambeaux de rêve dissipés par le bonheur d'être né à nouveau. Et l'on essaie de s'y refléter.

Petite Elfe dans la ville

La ville et ses miroirs. Les vitrines et les gens vous renvoient votre image, et comme encore une fois le reflet de vous-mêmes est inconfortable, vous tournez les yeux vers une Elfe, pour savoir comment ces êtres se comportent à l'intérieur du spectacle des hommes.

Petite Elfe lorsqu'elle est seule parfois baisse la tête pour ne pas se laisser prendre dans les pensées des autres. Elle pense à autre chose, toujours.
Mais à d'autres moments la voilà qui libère son regard pour qu'il se promène sur les expressions des visages, sur les corps de la ville.

Petite Elfe remarque des détails auxquels on fait rarement attention, des signes inattendus et parfois drôles. Car Petite Elfe connaît les villes, les villes qui changent.

Quand Petite Elfe est à Nantes, Petite Elfe écrit "bleu ciel. Etincelles en gris. La pluie est comme de la musique pour les yeux. Un arc-en-ciel. Un petit port heureux. Une vie nouvelle, une tour dans la nuit, un château et des lumières. Les endroits d'ici." Et moi qui ne suis jamais allé à Nantes je sais déjà ce que j'y trouverais, car ces mots expriment plus que la plus précise des descriptions. C'est une carte postale du coeur de Petite Elfe, et un morceau d'elle.

Les elfes voyagent beaucoup, mais ont-ils une autre quête que de vivre là où ils sont ?

Lorsque je marche en ville avec Petite Elfe, elle papillonne de vitrine en vitrine pour y contempler toutes sortes d'objets et d'habits. Je la suis, intrigué, essayant de deviner ce qu'elle y remarque. D'habitude, je me tiens un peu en retrait, car il se passe toujours quelque chose d'extraordinaire : dans le reflet de la vitre, à la place du regard de Petite Elfe, il y a celui d'un enfant.

Elle était à mon bras, le teint baigné du soleil froid de Newcastle. Nous marchions, une dernière fois, vers la mer. Je savais que nous ne la trouverions plus, mais je continuais à marcher. C'était un dimanche et je trouvais la ville belle.
Un petit village, la ville comme un jouet que Petite Elfe contemple émerveillée. Tous ces gens différents d'elle, qui l'oppressent parfois mais qu'elle ne peut détester parce qu'elle les aime. Tous ces murs.

Petite Elfe sourit

Elle : "Je souris tout le temps parce que j'ai compris que je pouvais retrouver quelque chose qui m'appartient et qui est entièrement à moi."

Petite Elfe envoie des sourires avec une lettre. Ou avec un dessin. Parfois, même l'enveloppe vous fait un sourire, vous enveloppe de son sourire. C'est vrai qu'avant, lorsque Petite Elfe était farouche, nous parlions en nous écrivant lorsque les autres nous dérangeaient. Et puis comme j'étais loin il a fallu qu'elle continue à me faire sourire, et par ses mots elle y réussit, tant de fois.

Elle m'écrit qu'elle veut avoir son sourire près du mien, qu'elle désire que je puisse sourire du fond de mon coeur et de m'y trouver heureux. Mais Elfes et hommes sont différents, et Petite Elfe ne connaît pas encore l'angoisse du temps et de l'espace. Petite Elfe ne sait pas que les régions de mon coeur sont hostiles et exacerbées, que mon seul calme c'est de l'y avoir, et que là même elle ne peut que l'apaiser et non le guérir. Petite Elfe méconnaît la cynique répétition des sentiments et la lucidité qui encercle les éclats disparates du bonheur.

Parce que son sourire ne cache rien d'autre qu'elle toute entière, il renverse les défenses les plus froides, non pas destiné à elles, mais à vous qui n'aviez peut-être jamais pensé qu'un sourire vous traverse et vienne se blottir entre vos deux poumons de sorte que chaque respiration prolonge sa propre douceur grave. Car les silences et les sourires s'enchevêtrent.

Comment reconnaître un Elfe à son sourire ? Si vous doutez un jour de votre voisin ou d'un de vos amis, ou même d'une personne inconnue et que vous entreteniez des soupçons quant à sa véritable nature, essayez de remarquer sur son visage une fossette complice. Au coin de l'oeil ou de la bouche, au milieu de la joue ou du menton... Les Elfes ont toujours une fossette, parce qu'ils rient avec leur visage et non pas avec leur bouche. Sourire inondant de bien-être tout le corps. Vagues de volupté.

Le calme exhalé de cette bouche arrondie comme une plage ; avec la tendresse de l'admirateur il faut embrasser le sourire de Petite Elfe.

Bien sûr de temps en temps Petite Elfe ne sourit pas, et vous n'en connaîtrez pas la raison. Il ne vous reste que le silence, l'attente pendant laquelle vous vous sentez effroyablement seul. Mais à quoi vous attendiez-vous ?

J'ai mis trop longtemps à comprendre ce qu'était un sourire. A l'admirez sur son visage on ne comprend pas tout. Il faut essayer une fois de sourire soi-même, pour son miroir. Et puis lorsque l'on se sent près, sourire à Petite Elfe.
On se surprend alors à ne plus pouvoir s'en passer.

Frôler un de ses sourires d'un doigt fébrile. L'attente douloureuse du baiser devient presque répréhensible, mais le châtiment de cette faute est irremplaçable.

Petite Elfe se promène

Paysages.
Elle : "Dans le ciel il n'y a aucun nuage, il y a des oiseaux blancs aux grandes ailes, il y a des fleurs de différentes couleurs partout. Je suis contente."

Les horizons se teintent de nouvelles couleurs lorsque Petite Elfe les admire avec vous. Les clichés s'évaporent, et des sensations pleines vous traversent l'esprit.
Un soleil ruisselant et un anéantit le bruit des hommes même. La pierre le défie et s'effrite. L'air se trouble en vapeurs. La vie menacée, affaiblie des hommes au travail et que la canicule accable. La vie décimée des plantes et des fleurs, exsangues. Là où respirer n'est pas vivre, garder la force de Petite Elfe quand les rayons frappent ses pupilles et regarder en avant, où une ombre propice a couvé un tapis d'herbes légèrement verdies. S'y asseoir et pouvoir contempler l'été méditerranéen.

Petite Elfe va en Italie : "Le soleil devient or. Et des traits dorés passent à travers les nuages. Je vois la mer, ce bleu immense, ce morceau de ciel liquide, de rêve. Elle me manquait et je viens de m'en apercevoir."

La pluie grasse engorge un peu plus la terre argileuse saturée d'eau dans laquelle je marche parfois, en Normandie. La tête baissée, humble devant l'averse, je rentre dans un bois épais pour retrouver ce chemin qui mène à la maison. La peur. Petite Elfe est loin de ce décor, de ces gouttes qui perlent sur les fougères, de ces buissons de ronces qui écorchent votre angoisse de tomber à même le sol. De cette lumière triste, abdiquant dans des sous-bois fétides que des feuilles trop mortes ont rempli d'odeurs enivrantes et qui viennent pourrir dans un ruisseau tortueux.
Ce sont là les paysages que Petite Elfe ne connaît pas. Ce sont mes paysages. Mais je suis convaincu qu'ils ne sont pas faits pour les hommes et je voudrais y emmener Petite Elfe, pour qu'elle y fabrique quelques instants de bonheur que nous saurons peut-être apprécier ensemble.

"Traits de bleu dans le grand manteau qui est au-dessus de nos têtes."

Dans les yeux de Petite Elfe défilent tous ces paysages, réels et imaginaires, ressentis ou attendus. Dans ces paysages un écho visuel du Pays des Elfes, d'un Pays que je ne connaissais pas. Des lueurs farouches en éclairent les contours. Mais j'en saisis quelques traits et je les garde dans ma tête, car je ne verrais peut-être jamais ce Pays de mes propres yeux.
Petite Elfe parle de soleils et de landes dorées. Je sais qu'elle s'y couche et qu'elle y regarde passer les nuages, et que pour elle ils s'inventent des formes.

"Des fois je peux voir le soleil qui brille en or-rosé. Des fois, je peux voir l'horizon à travers les montagnes."

Et Petite Elfe se promène dans ce pays merveilleux où les pierres s'arrangent pour former un chemin, où les arbres se ploient et s'étirent pour jouer avec les ombres, où les fleurs jaillissent d'une simple pensée fragile.

"L'esprit vole, grimpe et rit. Plein de sensations m'envahissent en ce monde ."
Petite Elfe papillonne.

Petite Elfe a peur

"Je t'aime, et de cela je n'ai pas peur, ni de te le dire. Mais te le dire n'est pas le plus important. Que tu le saches non plus. Il s'agit uniquement de le sentir ; le sens tu ?"

Petite Elfe a peur du temps, parce qu'elle ne sait pas le contrôler. Les hommes sont plus habitués à l'élasticité absurde du temps, car le leur est très restreint. Les elfes vivent un temps surmultiplié par l'émotion et parfois raccourci aux simples sensations.
Une fois Petite Elfe écrit "nous n'avons pas le temps. Au moins en ce qui me concerne pas trop quand même. J'ai commencé déjà à déborder."
Une autre fois elle me dit "J'aurais le temps, bien sûr. On aura toujours le temps."
Les instants des Elfes sont des infinis verticaux. Le moment se sublime et s'étire pour remplir l'être entier de sa volupté. Mais jetés dans un univers humain, soumis aux jours et aux lunes, leurs émotions s'angoissent parfois et les troublent profondément.

Petite Elfe n'a pas de montre, mais les heures la rattrapent si elle les passe avec des hommes.

"On aura toujours le temps." Temps bouleversé, qui crée un espoir sincère et naïf. Faut-il que je m'attache à cette phrase, moi qui fus trahi tant de fois par cet allié cynique ? Aujourd'hui Petite Elfe, avons-nous vraiment encore le temps ?

Elle : "Quand tu liras tout cela, peut-être ce ne sera plus qu'un écho perdu dans le temps, ce temps qui peut bien s'arrêter, aller, revenir, nous réunir ou nous éloigner."

Petite Elfe a également besoin de remercier ceux qu'elle aime, accablée du sentiment qu'elle est elle-même un fardeau. Ce merci vous atteint d'autant plus que ce que vous éprouvez pour elle n'existe qu'au-delà de la gratitude. En l'aidant à vivre parmi les hommes, elle vous donne du sens.
Car de temps en temps Petite Elfe se sent isolée, livrée à elle-même, incapable de sourire.

Petite Elfe a peur des jours tristes et des cristaux qui éclatent. Celui qu'elle m'a donné je le garde au fond de mon coeur et il explosera lorsque j'exploserai.
Comprenez bien : si une Elfe croise votre existence et vous offre un cristal, ne le jetez pas derrière vous, ne le cassez pas pour vous sentir puissant car ce n'est pas lui que vos briserez, mais bien le sourire fragile qu'il renferme et que l'Elfe vous a confié.

"C'est vrai, peut-être j'ai peur parfois mais c'est normal, c'est normal aussi de se reprendre et de ne plus avoir peur. C'est un peu moi."
En amour Petite Elfe s'effraie souvent elle-même, mais je crois que c'est parce qu'elle est sincère. De tous les sentiments "l'amour est le seul qui réussit à m'envahir complètement car il va tout doucement, tout tendrement."

L'amour ne brûle plus, il réchauffe.

Mais ne me demandez plus de quoi Petite Elfe a vraiment peur. Il est évident que je ne sais pas grand chose de ses mystères, même si elle prétend le contraire. L'Elfe reste une créature mystérieuse et ses peurs sont douloureusement incommunicables.
Chaque peur est une naïveté consciente.

L'angoisse est humaine, appel devant un monde absurde, mais je soupçonne Petite Elfe d'avoir essayé de faire une place dans sa petite poitrine à ce fardeau sans consistance qu'est le Néant. L'implication extrême des Elfes les pousse à vivre des émotions qui ne sont pas les leurs. Qui ne devraient jamais l'être.

Chez Petite Elfe

Chez Petite Elfe les murs sont des espaces remplis de fenêtres et de sourires. On y voit des paysages, des mots et des couleurs et chaque coin vous conte un peu de ses plaisirs et de ses souvenirs.

Rentrer chez Petite Elfe est une expérience extraordinaire et difficile. On y rencontre des objets rassurants parce que vôtres, et tant d'autres mots que vous ne lui avez pas écrits. Car l'homme est rapidement jaloux de l'espace, et compte les centimètres qu'on lui a accordé sur un mur pour y estimer la valeur des sentiments qu'on lui porte. Les Elfes ne savent pas cela. Ils épinglent leurs souvenirs comme autant d'émotions, et ne font que s'entretenir avec elles du passé, du présent et parfois du futur.

Elle : "Je crois aux symboles : ces petites choses parfois insignifiantes qui parlent différemment de nous, et qui disent des choses fantastiques. Comme ton, mon galet."

Les objets revêtent une parure imaginaire pour parler avec Petite Elfe. Entre l'être et le sentir se palpent des intensités sans bornes, et chaque symbole est une métamorphose de l'objet en substrat imaginaire et personnel.
Dans mon galet il y a des plages sans soleil qui parlent d'abandon, un horizon angoissant et beau, une terre d'espoir et de combats, et en lui offrant il y a l'impossibilité de lui dire autrement que c'est ça et elle que j'aime.
Dans son galet il y a des étendues de mystère, le plaisir du partage et l'envie de la découverte, et mille autres images que je ne connais pas.

Il y aurait autant à dire sur un certain marron.

"- Excusez-moi, lui écrit-elle.
- Mais pourquoi donc ?
- Je ne sais pas précisément. J'ai l'impression que des milliers d'années ont déjà passé. Je constate que même si on est juste en face on est si éloigné. Peut-être est-ce ma faute. Il se peut que ce soit moi."

Le monde de Petite Elfe est fait de dialogues. Entre elle et son imaginaire, entre elle et les hommes, entre elle et ses contradictions. Je crois que les Elfes ont peu besoin de parler entre eux. Le monde de Petite Elfe est rempli d'interrogations diverses qui sont autant de peurs, de plaisirs et de passions.
Ainsi ses limites sont celles de l'émotion.

"Combien de temps vit l'homme, enfin ? Vit-il mille ans ou seulement un ? Vit-il une semaine ou plusieurs siècles ? Pour combien de temps meurt l'homme ?
Que veut dire pour toujours ?"

Il se pourrait que l'homme vive le temps de rencontrer un Elfe.

Parler du Pays des Elfes est difficile, car les Elfes que nous rencontrons sont exilés. Ne subsistent que des légendes et les longs monologues ravis de Petite Elfe sur les us et les couleurs de ce pays exotique. On ne sait jamais si l'on peut donner une réelle consistance aux descriptions rayonnantes de Petite Elfe, le sourire unique avec lequel elle les dépeint ne donnant d'autre indication que le bonheur des souvenirs et des espoirs qui la traversent. Pourtant, il semble que des contradictions semblables à celles des hommes agitent les esprits de Elfes. Avant tout l'être est social, avant même sa différence de nature. Je peux comprendre certaines choses aux Elfes, et j'en tire une fierté toute humaine qui ne me sert qu'à aider Petite Elfe à dépasser ses peurs.
Je sais que Petite Elfe a une famille, je sais que Petite Elfe a des amis que je ne connaîtrais jamais de la même façon. Rien de tout cela ne m'a échappé.

Elle m'écrit : "Je pense à toi, à mes histoires que je veux qui deviennent un peu de ta connaissance, mes espoirs, mes folies... Il y a des choses, tellement de choses à faire ensemble. A récupérer tellement de temps"
Mais Petite Elfe n'a finalement pas d'autre adresse que ses pensées. Là où sont les murs n'a pas tellement d'importance à y regarder attentivement, et toutes les lettres que je lui ai écrites furent adressées à son coeur.

Petite Elfe s'endort

Petite Elfe s'endort, plonge dans ses songes qui s'enchevêtrent comme ses cheveux. Je suis encore à ses côtés, je lui caresse tendrement la main et je l'abandonne au sommeil. Je regarde le sourire qu'elle emporte, je veux croire qu'il est pour moi. La lune envahit son visage et je sais que demain Petite Elfe ne sera peut-être plus là.
Je me demande pourquoi une Elfe prend une figue pas mûre et la jette trois cents mètres après. Je me demande si les Elfes existent. Je ne me demande pas si je suis heureux.

Mon regard croise celui de la lune. Je souris, car je sais qu'elle n'a pas de réponse. Petite Elfe s'endort, les cieux sont vides et je suis heureux. J'ai le temps d'admirer les étoiles, de les trouver belles et d'oublier les constellations. Petite Elfe s'endort, et j'ai des larmes aux yeux de mon coeur.

Un simple drap habille le corps nu de Petite Elfe. J'entends son souffle murmurer des mots que je ne comprends pas et qui affolent mon coeur. Maintenant j'entends les battements de nos deux coeurs et nos souffles l'un contre l'autre. Mon regard est dans le sien. Infini.

Ceci est la plus agréable forme de solitude.

C'est l'heure des doutes et des plaisirs de l'âme. Petite Elfe s'endort. Il faut la laisser dormir. Des couleurs, des paysages, des océans, des mots, des rires, des villes, des sourires jouent dans mon esprit exténué mais qui veut prolonger encore cet instant. Car cet instant est toujours le dernier.
Avant le matin...

Quelques fois j'ai de la peine à réaliser que Petite Elfe est peut-être partie pour toujours. Je me réveille les matins froids et la violence de cette solitude qui n'est plus du manque oppresse mon coeur. Je me rends compte du vide qui déjà emplit mon rêve et je me réveille angoissé, à nouveau homme.

Et je voudrais me battre pour un temps qui n'existe plus parce que les jours l'ont fait mourir, ceux-là même qui malgré les instants suffisants du bonheur avaient fait naître un semblant d'espoir, peut-être même simplement l'envie du confort.
Car je ne veux finalement rien d'autre que me reposer, m'endormir dans sa chaleur et arrêter d'écrire pour pouvoir la regarder. Toute cette histoire est en fait celle d'un sourire autre.

Le manque partagé avec elle est presque un plaisir mais le désir, ne se heurtant qu'à son bonheur qui s'épanouit ailleurs que dans mes bras, distille dans ces lignes, dans mon corps, un venin de mélancolie acide qui n'a plus d'autre objet à maudire que lui-même.
D'ordinaire, ce bref accès de jalousie ne survit pas au matin. On se plaît finalement à imaginer une Petite Elfe heureuse entourée d'autres Elfes et d'autres hommes attentifs, à qui elle confiera peut-être le secret de certaines saveurs. Et puis je vous ai avoué que je n'aurais jamais cru pouvoir rencontrer une Elfe, il m'aurait donc été difficile de souffrir longtemps de cette séparation. J'avais plutôt intérêt à apprécier et à comprendre ce qu'il m'avait été offert d'épouser.

Car il est dans la nature des Elfes, comme dans celle de toutes les créatures fantastiques et merveilleuses, de quitter un jour celui ou celle avec qui ils ont partagé un peu de leur temps et de s'éclipser d'une existence humaine qu'ils ne désirent certainement pas.

Ses rêves un jour l'ont soustraite à mon quotidien.

Quel être sain voudrait du doute ? Que n'ai-je d'autre à lui offrir puisque tout part de l'incertitude, et surtout l'amour. C'est peut-être pour cela que l'on s'y jette avec passion, parce qu'il est précaire et instable par nature, parce qu'il est une intelligence concrète n'ayant que peu de rapport avec l'absolu.

Petite Elfe a-t-elle entendu la façon dont je l'ai aimée ? Je ne sais pas.
Il me plaît de penser qu'un jour, si elle le ressent, elle n'hésitera pas à revenir fleurir les chemins arides de mes pensées. C'est un petit peu un rêve d'enfant, mais ceci est un conte, non ? Et les contes sont écrits pour aider les enfants à s'endormir...


Ecrire à Maeglin
© Maeglin

Post Scriptum

Petite Elfe revient parfois me faire part de sa vie. Quelques détails ont changés, comme l’ondulation de certaines mèches brunes à l’avant de son visage. Petite Elfe devient femme. La lumière se pose toujours sur elle avec délicatesse, peut-être désormais avec une maturité bienveillante. Petite Elfe s’organise, acquiert peu à peu les armes de sa survie. Aucune rancoeur, aucune jalousie ne m’a empêché de capter à nouveau l’étincelle sibylline de ses nouvelles joies.

Où étions-nous, petite Elfe, quand nous étions ensemble ? A travers moi, un instant encore, regarde les choses que tu as créées. N’y renonce vraiment que lorsque tu auras renoncé à porter du sens à ton voyage.

Je te survis irrémédiablement et tu ne me dois rien.




Publication : 17 octobre 2003
Dernière modification : 18 mai 2009


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Aredhel
L’Oiseau de feu  
Bluelantern
Lutins à la lanterne bleue  
Clémence
Le Lutin au Grelot  
Didier
Coalescence  
Elemmirë
Ange sixième  
L'attente illustré par un poème de Narwa Roquen  
Eroël
La double vie de Roland  
Le treizième tableau  
Les songes de Peiral  
Estellanara
Bébé dragon  
Jézabel  
Le sourire  
Mignonne, allons voir si la rose...  
Fladnag
Blue Moon illustré par Lindorië  
Lindorië
L'elfe au dragon  
La Gardienne du temps  
La dresseuse  
La passe maléfique
Lutine
La Gardienne de la Nuit  
Maedhros
Le royaume des cieux
Maedhros
Les Cheminées des Fées  
Revoir
Maeglin
Chevelure Ondine
Gabrielle
Petite Elfe  
Prélude au bonheur  
Miriamélé
Je rêve de me réveiller un jour  
Neimad
Le Tisseur De Vie  
Netra
Par-delà la Mer de l’Est  
XII  
Netra et Reya
Jouet de Venise  
Nounou Ogg
Elisandre illustré par Lindorië  
Re-naissance
Roger Luc Mary
Le fantôme impitoyable
Stéphane Méliade
La nuit des noyaux profonds  
Yasbane
Discussion avec J. Vjonwaë
L'avis du docteur Morris Bann
Rapport
gawen
La Tisserande  
Le Barde-Artisan  

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signifie que la participation est un Texte.
signifie que la participation contient un Dessin.


11 Commentaires :

Lyu 
le 03-02-2004 à 11h28
Trés joli et tellement triste...
Petite Elfe est sans doute un trés beau conte,
Il y traine comme un refrain de mélancolie,
Une pensée joyeuse en mon âme monte,
Mais l'histoire est deja finie...

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