La Princesse fut propulsée à terre et tomba sur le dos. Une forme s'accroupit au-dessus d'elle et abattit un poignard. La jeune femme se dégagea à temps et la lame s'enfonça dans la terre. Le propriétaire du poignard n'eut pas autant de chance : il eut à peine le temps d'avoir un soubresaut quand la pointe de la hallebarde de Glabarn transperça son torse. Il y eut des hennissements de chevaux s'enfuyant dans le lointain. Cymbeline se retourna. L'obscurité semblait se faire moins profonde, et la scène qu'elle révélait était confuse. Des hommes se battaient non loin, d'autres gisaient à terre. D'autres encore se poursuivaient dans la forêt et disparaissaient à la vue.
Un assaillant se jeta sur la princesse esseulée, mais il n'eut pas même le temps de pousser un cri avant de s'effondrer. Egélia retira vivement son arme du corps qui s'effondrait et para le coup d'une ombre qui s'était approchée de côté. Un autre mouvement suivit, et l'attaquant se retrouva avec une profonde entaille en travers du ventre. Il abandonna le combat avec un hurlement, tentant vainement de rentrer ses viscères qui s'échappaient.
Cymbeline se retourna de tous côtés. La forêt était silencieuse à présent. L'obscurité s'en était allée pour laisser place aux couleurs de la nuit. Il s'agissait là de quelque sortilège sans aucun doute. Il n'y avait plus aucun mouvement. Elle attendit quelques instants, aux aguets. Ce qui restait des fugitifs se rassembla lentement. L'officier était légèrement blessé au bras gauche et ramenait avec lui les chevaux qu'il avait réussi à rattraper. Cymbeline se rappela soudain l'avoir déjà vu dans le palais ; il s'appelait Adjan et était responsable du guet. Darlin avait une méchante entaille à la jambe. Duorn s'occupait déjà de le soigner. Egélia et Glabarn paraissaient indemnes. Trois soldats étaient morts et l'éclaireuse avait disparu. Un des deux soldats rescapés s'accroupit à côté d'un des cadavres d'assaillant. Il l'examina quelques instants avant de s'adresser à Adjan.
"- Ceux-là ne sont pas des guerriers de l'est. Trop petit, trop trapus, pas assez robustes. Ils ne sont pas Ambreluns non plus. Il s'agit peut-être de Gnauplim, ce qui voudrait dire que les Hautes Terres ne sont plus un endroit sûr.
- En tout cas, ce qui est certain c'est qu'on nous attendait, remarqua Egélia. Une véritable embuscade. Voilà pourquoi personne ne s'est donné la peine de nous poursuivre. Et je ne sais quoi penser de cette étrange obscurité allant et venant.
- On dit que les Gnauplim sont un peu sorciers, avança Gualian. Ne font-ils pas partie de ces anciens peuples qui parcourraient le monde aux temps de la magie et des légendes?
- Les Gnauplim n'y sont pour rien."
La dernière phrase, prononcée d'un ton impérieux, venait d'un peu plus loin. Toute la petite troupe se retourna et aperçut, sortant de derrière un bosquet, une petite silhouette aux cheveux noirs de jais.
"- Vildya ! s'écrièrent-ils tous en coeur.
- Mais que faites-vous ici ? compléta Adjan.
- Le roi m'avait envoyée m'assurer de la loyauté des Gnauplim. Ce qui est fait. J'étais sur la route pour rejoindre Fortcarré quand j'ai senti qu'une magie ancienne était utilisée. Je suis venue aussi vite que j'ai pu et je vous ai trouvés ici, discutant de l'identité de vos assaillants. Et je vous le dit tout net, il ne s'agit pas de Gnauplim. Vous pourrez le constater par vous-mêmes quand vous les rencontrerez. Mais trêve de bavardages, c'est plutôt moi qui devrait vous demander ce que vous faites ici.
- Fortcarré est tombé, expliqua Glabarn. Le duc d'Afar nous a trahi.
- Et le roi ? s'enquit Vildya.
- Il a aussi réussi à s'enfuir, reprit Glabarn. Il est parti vers le sud. Il projette de rejoindre les Contrées Lointaines en contournant la Forêt Blanche. Cilling quant à lui tente de rallier le Sordor en longeant les Plateaux Fumants. Quant à nous, nous accompagnons Cymbeline pour la mettre à l'abri dans les Hautes Terres. Nous devions aussi vous retrouver. Voilà au moins une chose de faite. En tout cas vous êtes arrivée à temps pour nous débarrasser de cette étrange obscurité.
- Je n'y suis hélas pour rien, répondit Vildya. Et c'est bien ce qui m'inquiète ; il n'y a que dans les toutes vieilles légendes qu'on trouve des êtres capable d'utiliser un pouvoir semblable. Peut-être n'a-t-il pas eu assez de force pour maintenir son sort suffisamment longtemps. Peut-être a-t-il été contré, mais je ne vois pas par qui. Tout cela est préoccupant. Les sages Gnauplim pourront peut-être nous fournir des éléments de réponse. Il y a une grande maison tout près d'ici dont je connais les propriétaires. Ils nous hébergeront pour la nuit et nous mèneront à leurs Sages demain. Emmenez les morts, nous les enterrons plus loin."
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