Cilling jeta un rapide coup d'oeil derrière lui. Une troupe hétéroclites d'hommes à cheval le suivaient. Il y avait là quelques cavaliers royaux qui avaient été séparés du roi au cours de la bataille, des soldats de différents corps ainsi que quelques citadins qui avaient réussi à s'emparer d'une monture. Deux centaines de mètres plus loin, des guerriers montés des tribus de l'est étaient lancés à brides abattues à leur poursuite.
Cilling se tourna vers la droite. Il avait contourné Fortcarré par l'ouest avant de remonter vers le nord tandis que Cymbeline avait effectué la même manoeuvre du côté est. Le conseiller pouvait encore apercevoir sur la ligne d'horizon les silhouettes des cavaliers qui accompagnaient la fille du roi. Aucune troupe ne semblait s'être lancée à la poursuite de la Princesse. Curieusement, cette constatation n'était pas pour le rassurer. Il se retourna à nouveau. Les guerriers étaient toujours à même distance. Plus au sud, personne non plus ne s'était précipité derrière Blador. Il fallait espérer que le roi puisse traverser les terres du duc de Flint sans encombres.
La poursuite dura toute l'après-midi. La silhouette torturée des Plateaux Fumants se découpa sur l'horizon et avança rapidement vers les cavaliers. L'obscurité apportée par le crépuscule naissant grandissait encore les impressionnantes arrêtes rocheuses qui déchiraient le ciel. Les Plateaux Fumants ne s'élevaient pas très haut et n'étaient pas vraiment abrupts, mais le contraste entre les plaines vallonnées d'Ambrelune et le promontoire rocheux était tel que le modeste relief prenait des allures de montagne.
A présent les fuyards se trouvaient à une très courte distance des premiers contreforts des plateaux. La terre meuble et fertile s'effaçait progressivement pour laisser la place à des bancs de roche qui se regroupaient pour former un sol dur et accidenté. Les cavaliers s'apprêtaient à entamer la montée lorsque les chevaux renâclèrent et refusèrent d'aller plus loin. Les soldats avaient beau tantôt les conspuer tantôt leur flatter l'encolure, rien n'y faisait et les montures ne bougeaient pas. Derrière, les poursuivants dévoraient la distance qui les séparaient de leurs cibles et leurs cris de guerre résonnèrent bientôt aux oreilles des fuyards.
"- Satanées bestioles, jura un soldat, pourquoi n'avancent-elles pas?
- Elles sentent quelque chose qui les terrifie, répondit Cilling.
- On dit que les Plateaux Fumants sont hantés par toute sorte de créatures issues du passé. C'est peut-être ça qui leur fait peur, proposa un habitant.
- Ne dites donc pas de bêtises, tonna Cilling. Ce sont là histoires de bonnes femmes. Les Plateaux Fumants sont déserts, personne n'y habite depuis longtemps.
- C'est qu'y a p'têt ben une bonne raison pour que personne ne s'soit installé ici, rétorqua un autre habitant.
- Ca suffit, ordonna Cilling. Si les chevaux ne veulent plus avancer, il va falloir livrer combat. Essayons de gagner ce promontoire où nous serons à notre avantage. Tout le monde pied à terre!
- Hé! Vous entendez? Qu'est-ce que c'est que ça?"
Quelque chose avait changé dans le fond de l'air. Le bruit du vent dansant dans les ravins et les arêtes avait mué en son qui rebondissait sur les parois. Le changement était à peine perceptible mais suffisait à intriguer l'oreille. Il se passait quelque chose d'étrange, et les chevaux se calmèrent les uns après les autres tandis que les cavaliers en oublièrent leur fuite.
Puis le son devint chant. Le souffle de vent se propageait comme une harmonie légère et discrète qui sautillait de rocher en rocher, effleurant à peine les Plateaux qui en frissonnaient. La chanson montait très haut dans les aigus, et les hommes la pressentait à peine tandis que les animaux l'entendaient distinctement. Les chevaux semblaient l'apprécier et ils étaient disposés à avancer. Mais les cavaliers étaient comme hypnotisés et aucun d'eux ne bougeaient. La nuit tomba.
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