|
|
Aucun Commentaire
Ajouter un commentaire
Or, comme l'avait fait remarquer Kaorn, à peine passées les frontières d'Ambrelune, le monde pouvait paraître bien étrange. De nombreuses légendes courraient sur les Plateaux Fumants. L'une d'entre elles racontait que le relief était parsemé d'immenses et innombrables grottes où somnolaient de terrifiants dragons. Une autre prétendait que cet endroit avait été jadis un haut lieu de magie et que de nombreuses tours d'enchanteurs cruels s'élevaient en son centre. Une autre encore mettait en garde l'aventurier téméraire qui se glisserait dans ce lieu maudit à jamais il y a de cela plusieurs siècles. Parfois les récits se mélangeaient et les dragons obéissaient aux mages qui avaient maudit le lieu.
Les Ambreluns racontaient ces histoires à la tombée de la nuit autour d'un bon feu pour donner à une joyeuse veillée entre amis un parfum de mystère. Mais aucun d'entre eux n'y accordaient la moindre parcelle de vérité. Pourtant, perdu de nuit à la lisière des Plateaux Fumants, écoutant chanter le vent entre les rochers, surplombé par un halo lumineux qui l'intimidait, Cilling mettait plus difficilement en doute toutes ces vieilles légendes. Il y avait là quelque magie dans l'air, et le conseiller craignait à tout moment de sentir sur lui le souffle chaud et fétide d'un dragon en colère. Il se retourna instinctivement.
De là où il était, Cilling ne discernait plus la plaine : une large saillie en dissimulait la vue. Il se rappela soudain qu'il était entrain de fuir, et qu'une meute de poursuivants devait se trouver à une toute petite distance de là, prête à fondre sur eux. Il se demanda si les guerriers de l'est oseraient s'aventurer dans les Plateaux Fumants. La plupart de ces rudes gaillards devaient connaître tout ce qui se disait sur ce lieu, et ils devaient même avoir quelques légendes de leur crû en plus. Il fallait espérer que la crainte serait plus grande que le goût du sang.
Le chemin continua de monter en pente douce et la troupe arriva bientôt sur une étroite corniche qui séparait une haute falaise d'un petit précipice de quelques mètres. Toute la plaine d'Ambrelune s'offrait à présent aux regards, mais le ciel nocturne et nuageux empêchait de distinguer le paysage. Seules les formes de quelques collines éparses se découpaient dans le lointain.
En contrebas, les guerriers de l'est s'étaient engagés à leur tour sur le sentier après quelques hésitations. Ils ne cessaient de talonner leurs montures et gagnaient rapidement du terrain. Kaorn s'en était aperçu mais il ne semblait pas disposé à aller plus vite. Soudain le chant cessa. Cilling tressaillit. Il s'attendait à tout moment à voir les chevaux renâcler en coeur et se jeter à moitié fous dans le précipice. Il porta son regard sur la falaise en surplomb, guettant la masse monstrueuse d'un dragon plongeant sur eux. Il ne vit rien venir mais il entendit au loin les hennissements d'autres chevaux et les cris cacophoniques d'hommes aux abois. Il se retourna.
Les guerriers de l'est n'avançaient plus : leurs montures apeurées tentaient de faire demi tour sans y parvenir. Sur la hauteur déchirée, le halo lumineux et la silhouette avaient disparu. Il y eut un mouvement d'air qui n'était pas du vent. Une ombre passa sur la roche et tous les Ambreluns, terrifiés, se plièrent sur leurs selles et n'osèrent plus regarder en arrière. Les amas de roches se firent l'écho de cris terribles qui vinrent arracher des frissons aux cavaliers avant de disparaître. Il n'y eut bientôt plus un bruit, et tous essayèrent de se persuader en vain qu'ils n'avaient fait que rêver. Tous essayèrent d'oublier quelque chose qu'ils n'avaient même pas vu. Tous espéraient voir se lever avec le soleil sur l'horizon les vastes étendues du Sordor. Demain peut-être ils seraient à l'abri.
|
|